Pour une fois, un livre de la collection blanche se fend d’une couverture noire. A cela une raison majeure. Dressant la liste de tous les projets qu’elle avait réalisés (61), Sophie Calle s’est amusée à les associer à des titres de la Série noire. “J’ai eu l’impression que ces titres m’attendaient” dit-elle. C’est pourquoi lorsque les Éditions Gallimard lui ont proposé de publier dans la Blanche cet état de ses lieux, elle y a associé leur collection Noire.
Se jouant des frontières entre le réel et la fiction, celle qui a suivi des inconnus dans la rue, invité des gens à dormir dans son lit pour discuter avec eux et les regarder dans leur sommeil, convié une quarantaine d’artistes à faire un album pour la mort de son chat, filmé les derniers instants de sa mère, servi de personnage au Léviathan de Paul Auster, poursuit de la sorte son cheminement artistique (et littéraire) tout comme ses farces et attrapes.
Le tout, histoire de souligner le caractère insuffisant de son patrimoine plastique et les descriptions de ses actions créatrices. Mais, plutôt que de consigner servilement son travail, elle en assure ici des transcriptions pour une possible garantie de sa longévité.
Il existe sans doute des réserves. Mais Sophie Calle n’en a cure et propose dans ce livre un démenti inépuisable dans un esprit jouissif et ludique.
Cela n’empêche en rien l’œuvre et le discours de se poursuivre — bien au contraire. Et Sophie Calle prouve une fois de plus qu’elle ne manque ni d’imagination, ni de vocabulaire et de culture pour sacraliser un culte appuyé sous toutes formes d’apparences trompeuses. Elles donnent lieu à des rencontres improbables et des constellations figuratives qui permettent de créer un tel livre et ses suites de facéties mais pour trouver par de tels biais une vérité d’appartenance. Le tout à travers le coton des mensonges en divers chambres d’hôtel — mais pas que.
jean-paul gavard-perret
Sophie Calle, Noire dans Blanche, Gallimard, collection Blanche, 14 septembre 2023, 144 p.- 18,00 €.