Eric Rondepierre, Facéties

Farces et attrapes

N’étant que “céré­mo­nies”, comme le rap­pelle Ron­de­pierre à tra­vers l’incipit de Mon­taigne, ce livre s’attache à l’entreprise sui­vante : “sou­li­gner le carac­tère insuf­fi­sant d’une des­crip­tion de gestes (…) et encore plus pénible d’imaginer un monde où cette des­crip­tion serait intacte, consi­gnée, ser­vi­le­ment dis­po­nible.“
Et l’auteur d’ajouter qu’il s’en faut de beau­coup que de telles trans­crip­tions soient ” une garan­tie de sa lon­gé­vité et que l’arrangement de signes qui en découle en soit le pro­lon­ge­ment natu­rel. ” Mais il rec­ti­fie d’emblée : ” Tou­te­fois, nous ne cache­rons pas qu’à ces réserves il faut oppo­ser un démenti inépui­sable”.

C’est celui que dresse ce livre jouis­sif où il se met en scène en des situa­tions où l’auteur n’a aucune rai­son de s’y retrou­ver et aux­quelles il ne trouve aucun inté­rêt ( sous cou­vert d’un habit de motard dans la pre­mière par­tie des deux de ce livre). Cela n’empêche en rien le dis­cours de se pour­suivre — bien au contraire.
Et si chez l’auteur le manque d’imagination et l’absence de voca­bu­laire semblent faus­se­ment aller de pair, il voue un culte appuyé à toute forme d’apparences même s’il ne sait pas ce qu’il fait ou ce qui l’agit, là où il reste tou­jours l’homme second face au pre­mier qui s’efface.

Maître dro­la­tique des abimes du logos, il crée un texte sous diverses pos­si­bi­li­tés d’ersatz (de Artaud à Loui­son Bobet) pour mettre à mal toutes les pré­ten­tions aux exhi­bi­tions de ses sem­blables en une suites de sil­houettes ou de tableaux décrits dans une pré­ci­sion d’autant maniaque que leur exis­tence n’est pas for­cé­ment avé­rée.
De telles varia­tions donnent lieu à des ren­contres impro­bables et des constel­la­tions figu­ra­tives qui n’ont cesse, une fois don­nées, de se détruire pour aller voir ailleurs si l’auteur y est et pour les reconstruire.

Cela ne mange pas de pain mais crée un beau livre. D’où ces suites de facé­ties plus ou moins incer­taines et plu­tôt plus que moins. Tous les gestes des per­son­nages réunis ici sont donc sujets à cau­tion et doivent être sai­sis avec une extrême pré­cau­tion. Même les signes d’évidences seront consi­dé­rés comme négli­geables, d’autant que l’auteur en avan­çant vers la vérité ne cesse de la faire recu­ler comme si un tel témoin dou­teux deve­nait un ser­pent qui se mord la queue.

D’où le plai­sir à lire de telles tur­pi­tudes et déviances d’usages. Nulle ques­tion pour lui de défendre ce qui lui est arrivé — ou pas. Mais l’ensemble devient le plus sédui­sant manuel d’inutilité per­vers, gro­tesque, insi­gni­fiant, pathé­tique (enfin presque) où la ques­tion de leur valeur importe peu.
Ce qui compte reste le mou­ve­ment cor­ro­sif et jouis­sif d’un tel lieu des non-lieux. ” La laine chaude de leur men­songe” en “cirques divers” enve­loppe l’auteur et les lec­teurs comme dans un nuage. Que deman­der de mieux pour tou­cher à l’Eden lit­té­raire et mordre la pous­sière dans la piste de ce qui est ?

jean-paul gavard-perret

Eric Ron­de­pierre, Facé­ties, Tin­bad, Paris, 2023, 105 p.- 17,00 €.

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