L’écriture d’un livre original sur Verdun relève presque d’une gageure, tant le sujet a été étudié, décortiqué, analysé par d’innombrables historiens français et étrangers. Il faut donc trouver un angle d’attaque qui sorte des sentiers battus. C’est ce qu’a tenté de faire l’Américain Paul Jankowski, dont l’ouvrage est publié dans la prestigieuse collection de Gallimard, “Les journées qui ont fait la France”, pour un résultat qui ne manque pas d’intérêt, sans que la perception de Verdun n’en soit révolutionnée pour autant.
L’auteur étudie Verdun à travers un prisme thématique, reprenant les sujets très actuels : la vie quotidienne des soldats, leur état d’esprit, les questions du consentement et de la contrainte, sans pour autant mettre de côté celles purement militaires (ne croyons pas que cela est évident aujourd’hui, y compris dans les études sur des évènements militaires !). Même si le lecteur cultivé n’apprendra rien de fondamentalement nouveau sur Verdun, certaines analyses de Paul Jankowski ne laissent pas indifférent. La principale renvoie au caractère même de la bataille, dans le sens de son utilité. En effet, selon lui, elle n’aurait rien d’une bataille décisive puisque ni les Allemands, ni les Français ne l’ont considérée comme telle.
Sa démonstration s’appuie sur les objectifs que Falkenhayn assigne à son offensive du 21 février 1916. Il s’agirait non pas de prendre Verdun ni d’user l’armée française ni d’ouvrir la route de Paris, mais d’obliger les Alliés à lancer une contre-attaque quelque part et ainsi relancer la guerre de mouvement. L’Allemagne, supérieure à ses adversaires et surtout aux Français, gagnerait alors la guerre. Verdun comme « une opération préliminaire » provoquée par les « spéculations byzantines de Falkenhayn. » Quant aux Français, ce sont avant tout pour des raisons politiques et de prestige qu’ils résistèrent. D’où l’ordre donné par le pouvoir politique à un Joffre plus récalcitrant de ne pas reculer d’un mètre.
La thèse est séduisante, mais comme toutes celles tentant d’expliquer les raisons de l’attaque du 21 février 1916, elle reste dans le domaine de l’hypothèse, les archives militaires allemandes étant parties en fumée en 1945… Sur l’autre question très débattue – celle de la contrainte ou du consentement au combat du soldat –, Paul Jankowski se veut le plus neutre possible, analysant les arguments des uns et des autres. Il n’empêche qu’il remarque quand même qu’ « aucun système répressif ne pouvait à lui seul contraindre des centaines de milliers d’hommes récalcitrants à risquer leur vie tous les jours. » Il existe donc une motivation intérieure chez les soldats, dans les deux camps, que notre époque dénationalisée aura de plus en plus de mal à comprendre.
Verdun n’a donc peut-être pas été une bataille décisive, dans le sens où elle n’a pas modifié le cours du conflit. Pourtant, l’ennemi n’est pas passé. N’est-ce pas là l’objet le plus décisif de l’histoire ?
frederic le moal
Paul Jankowski, Verdun, Gallimard, septembre 2013, 408 p. - 25,00 €