Avec ce récit aux multiples protagonistes, l’auteur souhaite illustrer la vie et les relations humaines comme dans une partie d’échecs. C’est un jeu qu’il apprécie car chaque pièce est différente, chacune avec ses contraintes de déplacement, ses avantages et ses faiblesses.
Ainsi, il aime l’idée que chaque événement, même anodin, a nécessité l’intervention de nombre de facteurs, de personnes, que des actions se sont imbriquées pour un résultat… bon ou mauvais.
Pour lui, le destin où tout est écrit d’avance n’existe pas. Ce sont les interactions, mêmes les plus minimes, qui agissent et aboutissent à une situation. Les rencontres, les rendez-vous manqués, les absences construisent une vie. Si des phénomènes naturels peuvent influer, ce sont essentiellement les personnes qui agissent à l’image des pièces d’échecs où un seul pion, pièce insignifiante, peut faire basculer une partie.
La directrice de la maison de retraite, Marion, surprend Madame Dubois fumant un cigare dans sa chambre dont elle ne sort jamais. Celle-ci répond qu’elle préfère les cigarettes, que c’est tout ce qu’elle a trouvé dans cette prison.
King, un comédien, termine une scène où il interprète un professeur. Il est la vedette d’une série, mais la pression que lui met son agent l’insupporte.
Une jeune chanteuse de rue échange un regard avec un homme assis avec ses amis à une terrasse. On les retrouve quand elle se rhabille, ne voulant pas poursuivre la relation.
Au lycée, Vincent est le meilleur, le gagnant, que ce soit en sport ou avec les filles. Un couple de personnes âgées n’a plus les mêmes désirs et occupations. Elle aime lire alors que lui ne rêve que de danser.
Renaud n’a qu’Internet pour échanger avec son amant en mission, pour une ONG au Costa Rica. Samir, un bénévole du programme de visiteurs-accompagnateurs, veut s’occuper de Madame Dubois, se faisant fort de la faire sortir de sa chambre. Après un bref entretien qui se termine mal. Désorienté, il renverse le jeu d’échecs qu’elle a en permanence près d’elle. Devant l’ignorance de Samir pour ce jeu, elle décide de lui apprendre.
Ils sont tous connectés sans en avoir conscience et vont être entraînés sur des chemins qui vont changer leur vie.
Vìctor L. Pinel met en scène une dizaine de protagonistes principaux, et leur entourage, autour d’un couple formé par Madame Dubois et Samir. Une jeune chanteuse, un couple âgé, un acteur en pleine gloire, un lycéen macho, deux homosexuels, une jeune élève, une femme en cours de divorce forment le squelette du récit. Avec eux, il évoque des succès, des échecs, la fidélité, les mensonges, les sites de rencontre, la masculinité toxique…
Alternant dessin réaliste et caricature, il offre un graphisme attachant, aux traits légers, aux teintes pastel bien agréables au regard. Si les personnages occupent souvent le premier plan, les décors ne sont pas négligés mais travaillés avec soin pour que le cadre soit en harmonie.
Avec Échecs, un titre à plusieurs interprétations, Vìctor L. Pinel réalise un album remarquable par la virtuosité de ses intrigues, pour la variété des personnages, des situations, des parcours, la richesse des symboles, le tout illustré avec un soin qui emporte l’adhésion.
serge perraud
Vìctor L. Pinel, Échecs, Bamboo, label “Grand Angle”, août 2023, 176 p. — 24,90 €.