Éric Sautou,Grand Saint Vincent

Là où rien ne change

“Je ne sais pas / je crois qu’une fois encore je des­cends regarde / c’est bien ça je des­cends”, dit le nar­ra­teur du livre où Sau­tou pour­suit tou­jours — par divers per­son­nages — la même quête. Ici, les figures de Jef­frey Dah­mer, Léon Spilliaert et Lazare forment tour à tour  une étrange tri­nité de soli­tude.
Et Éric Sau­tou plonge son per­son­nage (par sa confes­sion) dans la tour­mente du mal, à bord d’une barque, dans une mai­son, etc. par méta­phores et analogies.

“Ma vie est la plus seule” dit Dah­mer, l’enfant tapi dans l’ombre des bois, à l’affût comme les ani­maux qu’il traque et tue. Et avec en lui la peur d’être trouvé ou — qui sait ? — d’être sauvé. Mais il prend le temps de se deve­nir ou de s’absenter de lui-même.
Dans l’ombre il n’a pas peur, même si jusque là il était le chas­seur tra­qué autant par le manque d’amour, par Dieu que par lui-même.

Cher­chant l’écart, il le trouve. Et ce, quoique tiraillé et le corps peu­plé d’hommes étranges qui l’attirent et qu’il ne peut que tuer faute de pou­voir se tuer lui-même.
Éric Sau­tou enroule en une spi­rale de folie le por­trait de cet enfant devenu homme qui per­çoit qu’il faut mou­rir pour vivre, et qui déporte alors la mort sur les autres.

Sa soli­tude est appa­rem­ment pour­rie car pleine de trop de désirs impos­sibles que le héros trans­forme en désir de mort. « Nous allions tous dans le vide de nos vies nous dis­pa­rais­sions », dit celui qui tue ceux qu’il aime de ne savoir les aimer, sans vrai­ment croire à la mort, mais à la hau­teur de son vide.
Cela avant de tra­ver­ser en une pro­fonde mélan­co­lie des pay­sages aban­don­nés, des grèves déso­lées et les mers d’un bleu de nuit du peintre Léon Spilliaert.

Et voici que la figure du fils se fond avec celle de Lazare.  Revient alors  la figure de la mère dis­pa­rue et qui a tant hanté les livres d’Éric Sau­tou — entre autres La Véranda chez le même édi­teur. Elle referme cette déam­bu­la­tion soli­taire dans le mou­ve­ment de vivre et mou­rir en même temps comme chez Blan­chot mais ici dans l’idée que « l’amour est un ciel indéchiffrable ».

Désor­mais, faute de récon­ci­lia­tion de soi avec lui-même. Lazare le fils tra­verse la mai­son désor­mais vide en un adieu apaisé, doux. Bref, il res­sus­cite par-delà la mort des autres. La sienne est inté­rieure, elle conti­nue de vivre pour le sou­ve­nir “comme des fleurs / posées là / sur l’eau de l’étang” et inat­ten­due comme elles.

jean-paul gavard-perret

Éric Sau­tou, Grand Saint Vincent, Edi­tions Unes, Nice, 2023, 104 p. — 19,00 €

Leave a Comment

Filed under Chapeau bas, Poésie

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

*

Vous pouvez utiliser ces balises et attributs HTML : <a href="" title=""> <abbr title=""> <acronym title=""> <b> <blockquote cite=""> <cite> <code> <del datetime=""> <em> <i> <q cite=""> <strike> <strong>