« Les hommes et les femmes sont de même nature et de même constitution »
Devenue orpheline mais ayant bénéficié grâce à sa mère d’une solide éducation et d’un accès permanent aux livres, Marie est envoyée à Paris par son oncle, l’abbé Paulin, qui l’avait un temps recueillie. Elle sera copiste chez « le Philosophe », Denis Diderot. N’étant pas, selon ses propres termes « confit en dévotion » (p. 35), l’irrévérencieux la rebaptise immédiatement Félicité – son deuxième prénom. À ses côtés, elle vit et fait vivre le lecteur, de l’intérieur, les combats menés par les partisans des Lumières contre la censure, l’obscurantisme et les va-et-vient incessants des autorités. Car dans une époque où l’on aspire « à la liberté de pensée, à la tolérance, aux changements politiques et surtout au bonheur », les idées soutenues par Diderot dans l’ouvrage de sa vie, son Encyclopédie, ne font pas que des adeptes : le procureur Omer Joly de Fleury, « ni Homère, ni joli, ni fleuri » (p. 105), entre autres, use de son pouvoir pour bloquer l’avancée du travail, obligeant Diderot à œuvrer dans la clandestinité.
Malgré cela, de son petit bureau, perché dans un immeuble parisien, aux salons où elle rencontre Mme d’Épinay, Félicité parcourt un long chemin, accompagnée par son mentor. Peu à peu, il lui permet de laisser éclore son intelligence de femme – lui qui, pourtant, affirmait au grand dam de son amie Louise d’Épinay, que « la femme porte en elle un organe, l’utérus, susceptible de spasmes terribles et suscitant en elle des fantômes imaginaires » (p. 93) –, d’affiner son esprit, de s’affirmer jusqu’à l’émancipation. En même temps que le monde et les lettres, la jeune femme va aussi faire l’apprentissage des hommes et de leur fourberie.
Le parti pris de créer de toutes pièces le personnage de la copiste et de la faire vivre aux côtés de Diderot est judicieux. Il permet à Danielle Digne de faire pénétrer son lecteur dans un siècle souvent décrit, mais rarement à travers les yeux d’une paysanne cultivée. Le philosophe s’en trouve bien plus incarné que dans n’importe quelle biographie, et le roman bien plus fluide, raconté tel qu’il l’est à la manière d’un journal intime, précis et intelligent, ponctué d’extraits de lettres et de dialogues savoureux.
agathe de lastyns
Danielle Digne, La Petite copiste de Diderot, Le Passage, octobre 2013, 254 p – 19,00 €