C’est par cette expression, ou l’une de ses variantes (« Vous le savez peut-être », « Comme vous le savez depuis que je vais vous le dire », voire « Vous le sachez sûrement » ou même « Vous ne le savez sûrement pas, et si vous le saviez fallait me le dire ») que Stéphane de Groodt commence la plupart de ses chroniques. L’acteur et humoriste belge, qui a d’abord sévi dans La Matinale de Canal+ et sur RTL, officie désormais dans Le Supplément (toujours sur Canal+, présenté par « Maité-là, Biraben qui ria la première » p. 198) et une fois par semaine dans Comme on nous parle sur France Inter. Avec la complicité de son co-auteur depuis huit ans, Christophe Debacq, cet adepte des mots les triture tant et si bien qu’il parvient à faire pouffer son auditoire et, depuis la parution de ce recueil, son lectorat. Même si ses Voyages sont plutôt écrits pour être entendus, et même si ses jeux de mots souvent très fins et encore plus souvent drôlement absurdes – à moins qu’ils ne soient absurdement drôles – se prêtent mieux à l’oreille qu’à l’œil, le livre n’en demeure pas moins une bonne occasion de plus de rire intelligemment.
Rien de mieux que quelques exemples pour prendre la température de sa plume, point trop toutefois pour ne pas tout dévoiler. Le raisonnement par l’absurde, comme l’indique le titre, est souvent le point de départ de l’idée, qui aboutit, on ne sait pas toujours bien comment mais on se laisse embarquer avec plaisir, si ce n’est à l’éclat de rire, au minimum à un sourire : « Alors comme tous les chemins mènent à Rome, je pris le premier chemin qui me tomba sous le pied. Une fois arrivé à Koh-Lanta, j’envoyai une lettre de réclamation au bureau des proverbes à la con pour leur dire qu’on ne m’y reprendrait plus. ». Stéphane de Groodt jette son dévolu sur une personnalité controversée (Bachar-el-Assad, Silvio Berlusconi, Jean-Marie ou Marine le Pen – « qui ne s’habille pas vraiment en Pravda » p.133…) ou plus consensuelle (Johnny Hallyday, Elizabeth II, Michel Drücker, Angelina Jolie…) et prend le prétexte d’une soi-disant rencontre avec le ou la susmentionné(e) pour nous entraîner dans ses délires (« En partance pour la Birmanie afin de rencontrer la dangereuse révolutionnaire On-sent-l’Sushi, mon agent m’informe qu’Angelina Jolie est très cliente de la Matinale, qui à cause du décalage horaire s’appelle aux Etats-Unis la Soirinale… »p. 109).
Et peu importe que la personne en question soit morte (Lady Di « Celle qui fut Lady Di, ou Lady Die depuis qu’elle a trépassé sous un tunnel » p. 114 ; Jacques Brel, « celui qui auprès de Gauguin-ne-cause plus guère » ; Mère Teresa…) ou qu’elle ne soit même pas un être humain mais un événement (Le Festival de Cannes, où il va « voir si la Croisette s’amuse » p. 55, ou la Cérémonie des César). Car finalement, dans notre monde où la petite phrase fait le buzz, resteront quelques saillies mémorables, tels « le twist à Gaine de Régine » (p. 57), « un Acadien vaut mieux que deux tu l’auras » (p. 84), « à ma montre Jackie Quartz que j’avais mise au point » (p. 133) ou quelques expressions réutilisables à l’envi ou dans les dîners : « faire fausse blonde, c’est comme faire fausse route mais à un cheveu près » (p. 194), « courgetter, c’est comme poireauter mais avec une courgette » (p. 63) ou les membres de l’équipe de France de football, « champions de la passe ».
Bref, comme il dirait lui-même, gageons que même si certaines « nouvelles sil’icônes de la mode » et autres « stars du botox office » (p. 194) n’entendront pas toutes les subtilités de ses phrases alambiquées à souhait, le lecteur goûtant les bons mots, lui, se pourlèchera les babines en les lisant et les relisant.
agathe de lastyns
Stéphane De Groodt, Voyages en absurdie, Plon, novembre 2013, 202 p — 15,90 €