Le livre de la morte et de sa flaque
La fracture est le dernier livre et superbe aboutissement existentiel de la Suite C.J., 12 textes inédits de Charles Juliet. Cette évocation abrupte revient à jeter à l’eau la flaque première d’où le poète fut retiré avec rudesse. C’est tout autant lancer de l’huile sur le feu sacré de la mère. Agissant ainsi, Juliet ne cherche pas à assécher cette flaque mais à redevenir son hôte. A flaque des rues, château d’eau et belle fontaine pourrait-il penser. Mais l’auteur reste lucide : pour lui la flaque est un jet d’eau tué. Elle n’est jamais remplie d’eau de rose mais de celle du désert d’un éternel passé. Un désert au sable émouvant et tragique : « avec mes mots, tirer ma morte de sa tombe. La faire vivre à nouveau. Lui murmurer qu’elle m’habite encore » écrit Juliet.
A ceux qui voyageant sur une flaque croient ne pas risquer le mal de mère, l’auteur prouve le contraire. Il assure que le soleil se couche parfois dans un tel lieu. Celui-ci reste le miroir particulier où Juliet, plutôt que de voir sa mère, longtemps n’a vu personne : l’image première extraite de ce que Quignard nomme « la nuit sexuelle » première lui fut en effet arrachée. Dès lors et depuis toujours, pour Juliet écrire s’enracine dans le manque et la coupure. La mère reste la hantise profonde et le point d’ancrage où l’œuvre dérive au fil du temps. La nécessite de parler surnage en cette flaque de silence premier. Juliet y plonge une dernière fois afin — en touchant le fond — de sortir de la détresse.
Preuve que l’orage de la vie a finalement purgé cette flaque où la mère ne finissait pas de mourir : en jetant l’auteur au ruisseau, celui-là a pu « se reconstruire en usant les forces de la destruction » pour rejoindre le fleuve de l’existence. Cette flaque garde — jusque dans l’encrage choisi par Anik Vinay — une couleur crépusculaire. Celle du gris de l’évanouissement le plus sublime : contre la stagnation et la mélancolie en surgit une sérénité qui semble enfin féconde et qui ne se contente plus de survie et survivance. Elle permet au discours de se poursuivre.
jean-paul gavard-perret
Charles Juliet, La fracture , mise en livre et réalisation d’Anik Vinay, Atelier des Grames, Gidondas, 2013.
Une petite recherche semble démontrer que ce livre a paru initialement en 2010, chez Le Miel de l’Ours (avril 2010) : http://la_cause_des_causeuses.typepad.com/attentivement_charles_jul/2010/06/charles-juliet-la-fracture.html
Pourquoi le chroniqueur n’en dit-il rien ?