Embarquons pour une traversée diabolique
En 1634, la Compagnie hollandaise des Indes orientales était la plus riche compagnie de commerce du monde. Elle possédait et exploitait des avant-postes qui allaient du Cap à l’Asie. Le plus rentable était Batavia, aujourd’hui Jakarta, qui exportait vers Amsterdam, épices, poivre, soieries. Le voyage, périlleux au possible, prenait huit mois.
Un cortège, avec Jan Haan le Gouverneur général en tête, se dirige vers le port pour embarquer sur le Saardam. Il est rappelé à Amsterdam pour rejoindre Gentlemen 17, le groupe énigmatique qui dirige la Compagnie. Le lieutenant Arent Hayes essaie de protéger Samuel Pipps, enchaîné, objet d’insultes et de jets de pierre. Celui-ci était arrivé avec les honneurs, il y a cinq ans pour ses qualités de problémataire.
Alors qu’ils embarquent, une voix s’élève au-dessus d’eux. Un lépreux prophétise que le bateau n’atteindra jamais son but, que ceux qui seront à bord connaîtront une fin impitoyable. Et ses vêtements prennent feu. Bien qu’Arent arrose l’incendie avec un tonneau de bière il est terriblement brûlé et ceux qui sont là voient qu’il a la langue coupée. Qui parlait alors ? Un signe maléfique apparaît lorsque la grande voile est dépliée. Que contient le chargement appelé La Folie ?
Et des signes inquiétants, des événements fâcheux ne cessent d’apparaître très vite…
Pour faire vivre sa foisonnante histoire, Stuart Turton crée un groupe de personnages aux motivations bien différentes. Le récit s’appuie sur quatre personnes. Samuel Pipps, dit Sammy, un individu complexe à la fois alchimiste et enquêteur. Il se présente comme un problémataire capable de résoudre nombre d’affaires. Il est venu d’Amsterdam à Batavia à la demande de Jan Haan, pour récupérer La Folie. Or, aujourd’hui il est enchaîné comme un criminel.
Samuel a recruté, il y a quelques années, le lieutenant Arent Hayes, un colosse, pour assurer sa sécurité. Celui-ci lui est entièrement dévoué. Sara Wessel, l’épouse du Gouverneur général, est une femme brillante. Mais elle lui a été vendue, il y a quinze ans. Depuis, elle vit enfermée dans sa condition par ce mari violent. Sa fille Lia, qu’elle protège comme elle peut, se révèle un petit génie.
D’autres personnes tiennent un rôle conséquent comme Creesjie Jens, dame de compagnie de Sara et maîtresse de Han, le Capitaine de la garde, le prédicant et sa pupille, le capitaine du vaisseau, Old Tom, un démon qui exauce les souhaits en échange de contreparties macabres…
Ce bateau est le cadre idéal pour un huis clos mettant en scène un nombre important de protagonistes. Et l’auteur ne se prive pas de multiplier à l’envi les rebondissements, les coups de théâtre, les phénomènes mystérieux, les croyances qui se confrontent à la rationalité, les superstitions.
Pour accroître la tension, le navire se retrouve en perdition, la tension monte entre l’équipage, les soldats, les passagers et ceux chargés de faire régner l’ordre. Le religieux n’est pas le dernier à faire croître l’hystérie collective. Mais qu’est-ce qui relève du fantasme, de la réalité. D’où vient ce démon et quel est le véritable caractère de ces deux étranges chargements ?
Un beau schéma montre les principales parties du bateau et la répartition des principaux acteurs du drame. Après son très surprenant Les sept morts d’Evelyn Hardcastle (10/18 n° 5543), Start Turton récidive dans un genre différent et fait découvrir un roman à l’intrigue complexe et tortueuse, mais où le moindre détail est pensé, pesé, pour arriver à un dénouement étourdissant.
serge perraud
Stuart Turton, L’étrange traversée du Saardam (The Devil and the Dark Water), traduit de l’anglais par Fabrice Pointeau, Éditions 10/18 n° 5840, coll. “Polar”, mars 2023, 624 p. — 10,10 €.