Le parcours d’Hélène Natier est exemplaire. Douloureux mais exemplaire. Elle s’est hissée hors des miasmes grâce à son soleil intérieur, l’amour d’un homme et aussi l’écriture. Elle a répondu à “la toxicité de l’inceste” par sa volonté de devenir ce qu’elle est, d’être ce qu’elle est devenue. Et ce, dans un long voyage existentiel. Du passé elle a su, sinon faire table rase, du moins le fondre pour s’offrir à l’extase du temps présent et de la vie.
Entretien :
Qu’est-ce qui vous fait lever le matin ?
Mon corps d’abord qui veut se mettre en mouvement, et puis le désir d’entrer doucement dans la journée à venir, je n’aime pas trop les réveils brutaux !
Que sont devenus vos rêves d’enfant ?
Mes rêves d’enfant sont devenus celle que je suis maintenant, ils restent très présents en moi et m’apportent beaucoup de joie.
A quoi avez-vous renoncé ?
Je ne renonce pas. S’il le faut je recommence, sinon, j’apprends. J’ai bien renoncé néanmoins à une chose, sauver ma mère de sa propre folie.
D’où venez-vous ?
De loin ! (Sourire) Je suis une fille des Flandres françaises et je suis née à Hazebrouck.
Qu’avez-vous reçu en “héritage” ?
Ah ça ! C’est une sacrée question … J’ai reçu en héritage la toxicité de l’inceste qui perdurait dans ma famille maternelle et paternelle depuis des générations. J’en ai été victime moi-même. Il m’a fallu un demi-siècle pour tout remettre en ordre et en quelque sorte nettoyer les écuries d’Augias… Mais puisqu’il faut séparer le bon grain de l’ivraie, j’ai aussi reçu en héritage la ténacité.
Un petit plaisir — quotidien ou non ?
Plusieurs … Certains tout simples comme une tasse de thé au calme le matin, une suite au violoncelle de Bach à la tombée de la nuit, un bon verre de vin … Et puis un autre plus intime …
Comment définiriez-vous la nature de votre livre “Presque rien” ?
Un cri, un jet, une sorte de témoignage brut de décoffrage.
Quelle influence les théories littéraires (ou autres) ont sur lui ?
Ce livre a bouleversé pas mal de gens, je ne sais pas s’il a eu une influence quelconque sur les théories littéraires mais sur certaines théories psychologiques, oui.
Ce livre a permis et permet à certaines personnes de sortir aussi de leur secret, il libère la parole, en ça il a une influence notable.
Ce livre donne de l’espoir aussi à ceux et celles empêtrés dans des problématiques personnelles et familiales, sexuelles aussi.
Quel poids représente le passé dans votre oeuvre ?
Le passé a nourri cet ouvrage, en quelque sorte il en est le fruit. Mon prochain livre sera plutôt un livre au présent avec l’ouverture à l’avenir, le passé y aura toujours une place, j’en suis forgée mais il sera moins en gros plan.
Quelle est la première image qui vous interpella ?
Vous voulez dire enfant ? Car alors c’est complexe pour moi puisque j’avais une amnésie traumatique des dix premières années de ma vie …
J’ai du mal avec cette question en fait car je crois que ma sensibilité d’alors était tellement enfouie que finalement c’est une image adulte qui me vient à l’esprit, celle du moment où j’ai mis au monde mon premier fils.
Et votre première lecture ?
Spontanément, “le blé en herbe” de Colette. Nous n’avions pas droit au livre à la maison mais celui-là en poche était un rescapé qui venait de ma mère. J’ai pleuré toutes les larmes de mon corps quand je l’ai lu, ce qui d’ailleurs m’a valu une bonne trempe de mon père !
Après, j’ai beaucoup lu en cachette avec l’aide de ma professeur de danse, l’école se trouvait face à la bibliothèque municipale, alors elle me laissait partir plus tôt pour prendre des livres, et j’ai lu beaucoup à la lampe de poche dans mon lit !
Quelles musiques écoutez-vous ?
Toutes ou presque, j’aime beaucoup la musique, elle fait partie de ma vie et je découvre encore, classique bien sûr, pop, jazz, rock, rap, variétés, musique du monde … c’est infini …
Quel est le livre que vous aimez relire ?
Les derniers poèmes d’amour de Paul Eluard.
Quel film vous fait pleurer ?
Oh la la ! Plein !! Je suis très sensible au cinéma, et un rien peut me faire pleurer aussi bien de tristesse que de joie !
Quand vous vous regardez dans un miroir qui voyez-vous ?
Je vois une femme mûre, vivante, vibrante.
Je me vois telle que je suis devenue, j’ai appris à me regarder avec amour.
A qui n’avez-vous jamais osé écrire ?
À mon père .
Quel(le) ville ou lieu a pour vous valeur de mythe ?
Je ne comprends pas votre question … En tout cas, aucune réponse ne me vient
Quels sont les artistes et écrivains dont vous vous sentez le plus proche ?
À dire vrai, je me sens très proche du monde artistique en général, que ce soit la peinture, la sculpture, la photographie, tout m’inspire …
Je lis moins de roman ces dernières années, plutôt plongée dans les livres de psychologie, de philosophie et depuis toujours de poésie avec un faible pour Eluard. Disons un goût assez éclectique et varié. Par exemple, Camus me touche beaucoup, DH Lawrence, Herman Hesse mais aussi Colette, Flaubert, Stendhal … J’ai un grand faible pour les polars, notamment PD James. Et la pensée de Nietzsche ! Tout cela fait un drôle de mélange…
Qu’aimeriez-vous recevoir pour votre anniversaire ?
Un voyage quelque part sans savoir où…
Que défendez-vous ?
J’ai un grand rejet de l’injustice, je ne supporte pas les humiliations, je défends un respect absolu de l’enfant, son intégrité, son corps, sa sensibilité. Je défends une certaine image du beau et du bon.
Et un grand sentiment d’humanité.
Et puis la puissance de l’amour vrai.
Que vous inspire la phrase de Lacan : “L’Amour c’est donner quelque chose qu’on n’a pas à quelqu’un qui n’en veut pas”?
Je crois qu’on a tous un potentiel d’amour, mais que, pour qu’il s’épanouisse, il faut commencer par soi-même, ce qui est un cheminement surtout si on n’en a pas reçu enfant ou pire du désamour.
L’amour comme un don est l’amour suprême, car l’amour est plutôt un échange, une relation, une interaction.
Emmurée en moi-même pendant des années, sans avoir du coup accès d’une manière fluide et naturelle à mon intelligence émotionnelle, je parlais d’amour, attendais l’amour, rêvais d’amour et quand je suis sortie de cette amnésie qui couvrait le secret de l’inceste, j’ai découvert l’amour ! Et la, ça m’a submergée et de joie et de tristesse aussi car, ne m’aimant pas, j’aimais mal mon homme, mes enfants, mes amis, la vie !
Maintenant que cet équilibre est rétabli, et que je m’aime comme je suis tout en avançant toujours, je ressens et je donne de l’amour.
L’amour c’est quelque chose que l’on se donne pour pouvoir le partager…
J’aime beaucoup Rainer Maria Rilke qui dit :
« L’amour, c’est l’occasion unique de mûrir, de prendre forme, de devenir soi-même un monde pour l’amour de l’être aimé. C’est une haute exigence, une ambition sans limite, qui fait de celui qui aime un élu qu’appelle le large. »
Que pensez-vous de celle de W. Allen : “La réponse est oui mais quelle était la question ?“
L’humour de WA ! Et il n’en manque pas…
Quelle question ai-je oublié de vous poser ?
Je me la pose encore …
Entretien et présentation réalisés par jean-paul gavard-perret, pour lelitteraire.com, le 17 aout 2023.