Marcel Proust, Un amour de Swann orné par Pierre Alechinsky

Les enlu­mi­nures para­doxales d’Alechinsky

Décou­vrir l’approche du texte par Ale­chinsky crée d’abord une dés­illu­sion. Les inter­ven­tions de l’artiste sont si par­ci­mo­nieuses que le regar­deur peut esti­mer qu’une telle “lec­ture” est soit super­fi­cielle, soit si reli­gieuse qu’elle pousse le créa­teur au trop grand retrait.
Le plas­ti­cien se dégage de son lyrisme gra­phique et pro­pose en chaque page une inter­ven­tion mini­ma­liste. Pour évo­quer ses orne­men­ta­tions, il parle d’« infrac­tions », d’ « allu­sions ». Elles deviennent néan­moins les enlu­mi­nures d’un des trois ou quatre textes majeurs du XXème siècle.

Ce tra­vail rend — para­doxe étrange — le texte plus lisible. Dans le grand for­mat choisi à des­sein par l’artiste et l’éditeur la sim­pli­cité des formes fait fonc­tion­ner le texte selon un nou­veau régime. Le lec­teur est dégagé de sa masse, de sa com­pa­cité.
Relire Swann dans cette édi­tion revient à redé­cou­vrir voire sim­ple­ment décou­vrir cer­tains de ses mys­tères que les simples courbes d’un dos, d’une che­ve­lure ou d’une robe esquis­sées par Ale­chinsky ouvrent. Une telle inter­ven­tion enté­rine ce que Qui­gnard écrit dans Le Secret : « Le sou­ve­nir ne sub­siste que si une par­tie reste à conqué­rir ».

Et si chez Proust la mémoire est un ins­tru­ment de réfé­rence, pour Ale­chinsky elle devient un lieu de décou­verte. En dépit de sa mémoire d’éléphant, l’artiste n’a pas voulu se sou­ve­nir du livre mais le prendre tel qu’il lui reve­nait au fil de son tra­vail. Pris dans l’instant, l’artiste s’est sou­mis à l’eternel pré­sent de Proust dont il semble faire sécher sur la corde invi­sible de ses marges quelques hardes signi­fi­ca­tives.
Ser­vi­teur dévoué de l’œuvre, il a su ne pas se faire man­ger par elle ni la tirer à lui pour qu’elle serve de pré­texte. C’est assez rare pour être noté. Peu d’artiste sont capables d’une telle humilité.

En ce face à face, les des­sins au crayon de cou­leur san­guine ne sont que les poils héris­sés de l’attention d’un artiste. En sobriété, il rend indé­lé­biles les images de Proust. Ale­chinsky a laissé poindre de sa mémoire invo­lon­taire ce qui échappe à la mémoire volon­taire, qui n’est qu’un index de réfé­rences au texte. On peut esti­mer les images d’Alechinsky arbi­traires et se plaindre que de telles enlu­mi­nures ne contiennent rien du passé tel qu’il fut “ réel­le­ment ” vécu par Proust.
Mais c’est tout l’intérêt d’une telle inter­ven­tion plas­tique. Elle prouve qu’il n’existe pas de dif­fé­rence tan­gible entre la lec­ture d’un livre et sa trans­crip­tion certes par­tielle mais dont la fru­ga­lité est sus­cep­tible d’ouvrir l’écriture ori­gi­nale à une autre « vérité ».

jean-paul gavard-perret

Mar­cel Proust, Un amour de Swann orné par Pierre Ale­chinsky, NRF, Gal­li­mard, Paris,2013,  201 p.  –39,00 €.

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