Barbara Ellmerer au bord du silence – entretien avec l’artiste

Abor­dant le por­trait humain Bar­bara Ell­me­rer quitte pro­gres­si­ve­ment des prin­cipes habi­tuels de l’Imaginaire pour se por­ter vers un effa­ce­ment proche d’une blan­cheur par­ti­cu­lière. L’anglais lui a donné le mot de « blank ». Il fait sur­gir une lumière para­doxale et cap­ti­vante en un pathé­tique par­ti­cu­lier hors de tout lyrisme. Rien ne se révèle sinon une absence, un inconnu. L’image n’est plus qu’une sur­face impal­pable, exco­riée par le temps. N’y sub­siste qu’un son fon­da­men­tal proche du “silence tel que ce qui fut / avant jamais / par le mur­mure déchiré” (Beckett) dans lequel, en appa­rence — mais en appa­rence seule­ment — l’image perd ses sor­ti­lèges pour mieux les retrouver.


Qu’est-ce qui vous fait lever le matin ?
La conscience du temps réduit de chaque jour­née, la soif de conti­nuer mon tra­vail de pein­ture et de des­sin (qui est la même que la soif de vie) et d’explorer ses pos­si­bi­li­tés d’énergies.

Que sont deve­nus vos rêves d’enfants ?

Mon plus grand rêve — qui était de deve­nir une artiste tou­jours censé en gagner sa vie — s’est réa­lisé bien que mes parents m’aient averti et aient tenté de m’en dis­sua­der en m’interdisant de visi­ter une école d’art.

A quoi avez-vous renoncé ?
J’ai quitté mon pre­mier amour, cassé mon enga­ge­ment avec lui, quitté la pro­vince pour aller vivre en ville où je pou­vais suivre un ensei­gne­ment artis­tique et deve­nir une acti­viste politique.

D’où venez-vous ?
Je suis née (de parents autri­chiens) et j’ai grandi dans un beau petit vil­lage de mon­tagne dans l’Oberland bernois.

Quelle est la pre­mière image dont vous vous sou­ve­nez ?
La toute pre­mière dont je me sou­viens est une pein­ture impres­sion­niste « Judith », qui tient la tête d’Haulofernes dans sa main. La toile était pla­cée face à la table à man­ger fami­liale. Le nom du peintre était Hans Bauer qui était mon arrière grand-père.

Qu’est-ce qui vous dis­tingue des autres artistes ?
Cette ques­tion devra être posée à ceux qui voient les artistes selon une pers­pec­tive exté­rieure à eux.

Où travaillez-vous et com­ment ?
La ten­sion entre un mou­ve­ment vif et sa fixa­tion est déter­mi­nante pour ma pro­duc­tion. J’apprécie le moment où les cou­leurs com­mencent à se trans­for­mer sur le papier avec une poro­sité fra­gile ou puis­sante en des motifs éphé­mères comme sur la glace et l’eau. Mais mon tra­vail n’a pas seule­ment lieu dans mon ate­lier à côté la rivière dans la Zurich. Il se déroule dans de nom­breuses autres situa­tions, tout en mar­chant à tra­vers la nature, en écou­tant les dis­cus­sions des mathé­ma­ti­ciens ou des phy­si­ciens ou pen­dant la phase de réveil.A qui n’avez-vous jamais osé écrire ? En cette période de crue du tra­fic de mes­sa­ge­ries il n’y a pas de limites. On peut écrire à toute per­sonne dans le monde et rece­voir des emails de n’importe qui. Mais per­sonne n’a à répondre à tout le monde… tout comme l’a dit une fois Goethe à Jean Paul.

Quelle musique écoutez-vous en tra­vaillant ?
Si tout est calme autour de moi et de mes pen­sées je n’ai pas besoin de musique. Mais lorsqu’il y a des bruits, des voix ou quelque chose d’autres qui dérangent mon pro­ces­sus de tra­vail je reviens à la musique afin de m’en ser­vir comme bou­clier du monde exté­rieur. Je pré­fère alors écou­ter de la musique élec­tro­nique expérimentale.

Quel livre aimez-vous relire ?
Il y a un livre que j’aime depuis 28 ans « Un appren­tis­sage ou le livre des plai­sirs » de Cla­rice Lis­pec­tor. Il y a un autre livre à relire et relire car j’espère être en mesure de bien com­prendre un jour : Lisa Ran­dall « War­ped Pas­sages : Unra­ve­ling the Universe’s Hid­den Dimen­sions » ( « Pas­sages défor­més, un voyage dans l’espace extra dimen­sion­sion­nel », livre non tra­duit en français)

Quand vous vous regar­dez dans un miroir qui voyez-vous ?
Une femme qui doit trou­ver le temps de se faire les sourcils.

Quel lieu a valeur de mythe pour vous ?
L’abîme du ciel noc­turne, l’univers qui pro­met d’être multiple.

Quels sont les artistes dont vous vous sen­tez le plus proche ?
Goya, Pol­lock, Judith But­ler et autres rebelles.

Quel film vous fait pleu­rer ?
« Stal­ker »
de Tar­kowski et « Sans Soleil » de Chris Mar­ker ou bien un film de 2012 de Lucien Castaing-Taylor « Levia­than ».

Qu’aimeriez-vous rece­voir pour votre anni­ver­saire ?
Cette année pour mon anni­ver­saire j’ai eu une mer­veilleuse lettre d’amour qui ne peut sans doute pas être dépassée.

Que vous ins­pire la phrase de Lacan “L’amour c’est don­ner quelque chose qu’on n’a pas à quelqu’un qui n’en veut pas” ?
Les phé­no­mènes qu’on appelle impos­sibles pour­raient éven­tuel­le­ment existé quelque part ailleurs.

Pré­sen­ta­tion et inter­view réa­li­sés et tra­duit de l’anglais par jean-paul gavard-perret pour lelitteraire.com, le 10 novembre 2013.

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