Je n’étais plus revenue depuis 2010 à la remise de ce Prix de littérature policière, appréciable entre tous pour la compétence de son jury – constitué de policiers et d’autres professionnels bien placés pour évaluer les textes de ce genre –, comme pour son impartialité : les manuscrits y sont présentés anonymement, un usage qu’on aimerait voir se répandre. D’habitude, le Prix est remis dans une salle du fameux 36 ; cette année, les organisateurs ont décidé de le délocaliser sous la tente de l’exposition des 100 ans de la Police judiciaire de Paris, ce qui pouvait paraître une bonne idée tant qu’on ne s’y était pas encore rendu : dans cet espace bizarrement trop grand pour ce qu’on peut y voir exposé, éclairé de manière sinistre, et dont le sol tangue sous les pieds, à vous faire croire que sous la moquette grise, il y a exclusivement des planches pourries, l’assistance de la remise du Prix paraissait soucieuse surtout de s’excuser auprès des représentants des médias à propos des inconvénients du lieu.
Entouré de photographes et de cameramen, Jean Dujardin, le parrain de ce millésime, ne semblait intéresser personne parmi le public – à aucun moment propice, avant la cérémonie ou après, je ne lui ai entendu adresser de demande d’autographe ou quelque autre propos pouvant trahir la passion d’un fan. Par ailleurs, l’assistance était curieusement clairsemée, peu nombreuse même pour la partie du hall (entourée de barrières) où elle était parquée, et elle bavardait par petits groupes, entre collègues et amis, offrant l’aspect d’ensemble d’un préau où des adultes essaient de se désennuyer dans un esprit très bon enfant.
La cérémonie commença par un discours du président du jury, agréable et bref, suivi par la prestation de M. le Préfet, brillante d’intelligence, aussi réussie dans ses traits d’humour que dans ses passages graves, mais peut-être un peu trop longue – pendant ce temps, Jean Dujardin, les mains dans les poches de son pantalon, exhibait son ennui à tout moment où il n’était pas question de lui-même, l’air non pas provocateur mais absent. Nous avons donc pu l’observer en train de se balancer d’avant en arrière, de droite à gauche et vice-versa, sans jamais ressortir ses poings des poches, puis figé et de légèrement grimaçant, façon cancre mis au piquet, l’esprit toujours ailleurs, jusqu’à l’étape du discours où le Préfet se mit à le complimenter, ce qui lui fit faire – à la grande joie des photographes – une série de gestes de satisfaction auto parodique. Dès qu’il fut question du lauréat du Prix, le parrain reprit son attitude initiale, et ne la quitta que lorsqu’il dut s’exprimer à son tour, en des termes aussi concis que faciles à rapporter : il nous apprit que d’avoir fréquenté la PJ du temps où il se préparait pour son rôle de Contre-enquête, il gardait d’elle l’image d’un milieu “en contact avec la vraie vie dans ce qu’elle a de plus terrible“, et que ce métier-là, “c’est pas du cinéma“, truismes qui ne firent aucun effet perceptible aux concernés qui m’entouraient.
En revanche, le lauréat, Hervé Jourdain, entré dans la police comme gardien de la paix en 1993, présentement capitaine, et romancier depuis “sept ou huit ans“ (à ses dires), suscita une sympathie collective d’autant plus vive qu’il était bouleversé. Judicieusement muni d’un discours écrit, il avait le plus grand mal à le lire sans chevroter d’émotion, ce qui le rendait touchant comme aucun lauréat de Goncourt ne l’a jamais paru. Pourvu d’un physique de premier de la classe des plus doux et timides, ce capitaine récompensé pour pour Le Sang de la trahison (éd. Fayard) offrait un aspect si peu compatible avec l’image type de l’officier de police qu’il en venait à susciter, paradoxalement, la certitude que le Préfet n’avait surtout pas exagéré, en louant ses qualités professionnelles : pour monter en grade au sein de la PJ, lorsqu’on a l’air de l’exact contraire des “durs“ a priori désignés pour le métier, on doit être surdoué, et comment !
Après avoir fini de répondre aux journalistes, le lauréat qui n’avait toujours pas eu le temps de boire un verre se laissa féliciter et embrasser par une kyrielle de collègues, avec la même timidité modeste qu’il avait montrée pendant la cérémonie. Jean Dujardin était déjà parti, sans qu’aucun admirateur ne le poursuive. Il restait sur place presque exclusivement des fonctionnaires de la PJ, qui bavardaient et blaguaient, dans un esprit toujours très bon enfant – à vous faire regretter de n’avoir jamais qu’une occasion par an de côtoyer leur corps de métier.
agathe de lastyns
Prix du Quai des Orfèvres 2014