Cérémonie de remise du Prix du Quai des Orfèvres 2014

Un capi­taine récom­pensé

Je n’étais plus reve­nue depuis 2010 à la remise de ce Prix de lit­té­ra­ture poli­cière, appré­ciable entre tous pour la com­pé­tence de son jury – consti­tué de poli­ciers et d’autres pro­fes­sion­nels bien pla­cés pour éva­luer les textes de ce genre –, comme pour son impar­tia­lité : les manus­crits y sont pré­sen­tés ano­ny­me­ment, un usage qu’on aime­rait voir se répandre. D’habitude, le Prix est remis dans une salle du fameux 36 ; cette année, les orga­ni­sa­teurs ont décidé de le délo­ca­li­ser sous la tente de l’exposition des 100 ans de la Police judi­ciaire de Paris, ce qui pou­vait paraître une bonne idée tant qu’on ne s’y était pas encore rendu : dans cet espace bizar­re­ment trop grand pour ce qu’on peut y voir exposé, éclairé de manière sinistre, et dont le sol tangue sous les pieds, à vous faire croire que sous la moquette grise, il y a exclu­si­ve­ment des planches pour­ries, l’assistance de la remise du Prix parais­sait sou­cieuse sur­tout de s’excuser auprès des repré­sen­tants des médias à pro­pos des incon­vé­nients du lieu.
Entouré de pho­to­graphes et de came­ra­men, Jean Dujar­din, le par­rain de ce mil­lé­sime, ne sem­blait inté­res­ser per­sonne parmi le public – à aucun moment pro­pice, avant la céré­mo­nie ou après, je ne lui ai entendu adres­ser de demande d’autographe ou quelque autre pro­pos pou­vant tra­hir la pas­sion d’un fan. Par ailleurs, l’assistance était curieu­se­ment clair­se­mée, peu nom­breuse même pour la par­tie du hall (entou­rée de bar­rières) où elle était par­quée, et elle bavar­dait par petits groupes, entre col­lègues et amis, offrant l’aspect d’ensemble d’un préau où des adultes essaient de se désen­nuyer dans un esprit très bon enfant.
 
La céré­mo­nie com­mença par un dis­cours du pré­sident du jury, agréable et bref, suivi par la pres­ta­tion de M. le Pré­fet, brillante d’intelligence, aussi réus­sie dans ses traits d’humour que dans ses pas­sages graves, mais peut-être un peu trop longue – pen­dant ce temps, Jean Dujar­din, les mains dans les poches de son pan­ta­lon, exhi­bait son ennui à tout moment où il n’était pas ques­tion de lui-même, l’air non pas pro­vo­ca­teur mais absent. Nous avons donc pu l’observer en train de se balan­cer d’avant en arrière, de droite à gauche et vice-versa, sans jamais res­sor­tir ses poings des poches, puis figé et de légè­re­ment gri­ma­çant, façon cancre mis au piquet, l’esprit tou­jours ailleurs, jusqu’à l’étape du dis­cours où le Pré­fet se mit à le com­pli­men­ter, ce qui lui fit faire – à la grande joie des pho­to­graphes – une série de gestes de satis­fac­tion auto paro­dique. Dès qu’il fut ques­tion du lau­réat du Prix, le par­rain reprit son atti­tude ini­tiale, et ne la quitta que lorsqu’il dut s’exprimer à son tour, en des termes aussi concis que faciles à rap­por­ter : il nous apprit que d’avoir fré­quenté la PJ du temps où il se pré­pa­rait pour son rôle de Contre-enquête, il gar­dait d’elle l’image d’un milieu “en contact avec la vraie vie dans ce qu’elle a de plus ter­rible“, et que ce métier-là, “c’est pas du cinéma“, truismes qui ne firent aucun effet per­cep­tible aux concer­nés qui m’entouraient.
En revanche, le lau­réat, Hervé Jour­dain, entré dans la police comme gar­dien de la paix en 1993, pré­sen­te­ment capi­taine, et roman­cier depuis “sept ou huit ans“ (à ses dires), sus­cita une sym­pa­thie col­lec­tive d’autant plus vive qu’il était bou­le­versé. Judi­cieu­se­ment muni d’un dis­cours écrit, il avait le plus grand mal à le lire sans che­vro­ter d’émotion, ce qui le ren­dait tou­chant comme aucun lau­réat de Gon­court ne l’a jamais paru. Pourvu d’un phy­sique de pre­mier de la classe des plus doux et timides, ce capi­taine récom­pensé pour pour Le Sang de la tra­hi­son (éd. Fayard) offrait un aspect si peu com­pa­tible avec l’image type de l’officier de police qu’il en venait à sus­ci­ter, para­doxa­le­ment, la cer­ti­tude que le Pré­fet n’avait sur­tout pas exa­géré, en louant ses qua­li­tés pro­fes­sion­nelles : pour mon­ter en grade au sein de la PJ, lorsqu’on a l’air de l’exact contraire des “durs“ a priori dési­gnés pour le métier, on doit être sur­doué, et comment !

Après avoir fini de répondre aux jour­na­listes, le lau­réat qui n’avait tou­jours pas eu le temps de boire un verre se laissa féli­ci­ter et embras­ser par une kyrielle de col­lègues, avec la même timi­dité modeste qu’il avait mon­trée pen­dant la céré­mo­nie. Jean Dujar­din était déjà parti, sans qu’aucun admi­ra­teur ne le pour­suive. Il res­tait sur place presque exclu­si­ve­ment des fonc­tion­naires de la PJ, qui bavar­daient et bla­guaient, dans un esprit tou­jours très bon enfant – à vous faire regret­ter de n’avoir jamais qu’une occa­sion par an de côtoyer leur corps de métier.

agathe de lastyns

Prix du Quai des Orfèvres 2014

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