Par fragments épars-disjoints, Jean-Philippe Toussaint remonte en un certain vrac le temps passé : de son enfance jusqu’à pratiquement le temps présent où l’auteur se plaint d’arthrite (mais c’est ici un détail).
Plus que l’épisode la pandémie qui visiblement a traumatisé non sans raison l’auteur — “je n’avais aucune expérience de ce que pouvait être une crise sanitaire de grande ampleur”, précise-t-il dans ce livre que cet évènement a partiellement — ou plus — permis.
Les pions jusque là immobiles sur l’échiquier de sa mémoire se mettent à bouger lorsque l’auteur perçoit un point apparemment anodin : “cela ne m’avait frappé auparavant — que le sol du hall d’entrée de mon ancienne école avait des allures d’échiquier.“
Et l’auteur y reste tout au long de ces pages : “c’est le présent de ce livre, c’est son présent infini.” ajoute-t-il. Et à sa manière, il reprend ce que Perec a usé dans La Vie mode d’emploi : un principe dérivé d’un vieux problème que connaissent bien des amateurs d’échecs : la polygraphie du Cavalier, problème mathématico-logique, appelé aussi algorithme du Cavalier, fondé sur la marche d’une telle pièce du jeu.
L’auteur l’endosse pour parcourir parfois au galop, parfois à l’amble, les débuts comme l’aboutissement (toute provisoire) de sa vie. La fin de partie (d’échecs mais pas seulement) n’est pas encore de mise.
Il trouve là une nouvelle ouverture par le retour au biographique. En se racontant dans cet ouvrage, non seulement il se livre mais se réinvente à sa main. Et l’auteur de préciser encore : “je voulais débobiner, depuis ses origines, mes relations avec le jeu d’échecs” pour faire de ce jeu un fil d’Ariane.
C’est plutôt réussi et parfaitement écrit, même si l’auteur de ces lignes préfère les fictions “pures” de Toussaint. Mais cela est forcément subjectif. Toussaint sait découper parfaitement la vie du Cavalier en un certain nombre de morceaux puis les réassembler sans les déformer.
jean-paul gavard-perret
Jean-Philippe Toussaint, L’Échiquier, Editions de Minuit, 2023, 256 p. — 20, 00 €.
Le Cavalier devient alibi réussi pour écrire une vie dont Jean-Philippe Toussaint ne dit rien sur échec et mat .