« Ce qui se dérobe sans que rien ne soit caché ».(M. Blanchot) -
Poursuivant l’interrogation du paradigme esthétique dominant et de déhiérarchisation de la culture, Beauté(s) creuse la question à laquelle destine le mot “beauté” qui échappe toujours quand on tente de la définir mais qui met en mouvement la pensée.
Beauté(s) croise ici des approches philosophiques, anthropologiques ou sociologiques et des réflexions esthétiques, éthiques, politiques de plusieurs artistes contemporains.
Camille Saint-Jacques se demande si le sens du beau est le propre de l’homme et l’inscrit dans les réflexions écologiques actuelles sur l’unité du vivant. La peintre Claire Chenier se demande quelle beauté produit la couleur et évoque l’irisation du visible.
Jean-Charles Vergne prouve que le sentiment esthétique n’est pas un, mais une “friction de sentiments contradictoires”, il est multiple mais pas un. Fabrice Lauterjung, cinéaste, revient sur son dernier projet autour de Joyce et du pont de Beaugency pour y essayer de définir la place de la beauté en un agencement de sources multiples proliférantes et flottantes.
Yves Le Fur nous ramène vers les statues premières d’Afrique. Partant de l’exemple de l’intérêt d’Helena Rubinstein pour l’art africain, il montre comment l’impact de ces statues s’est diffusé dans notre mode de vie. Le peintre Vincent Dulom rappelle que la beauté dans l’art est “une expérience saisissante du corps”, flottement léger du réel saisi par le regard et le corps qui l’éprouve avant de penser.
Philippe Descola redéfinit de manière anthropologique la nature des images en distinguant quatre registres : animiste, naturaliste, totémiste et analogique qui dessinent l’amont de nos critères esthétiques. La sculptrice Estèla Alliaud illustre combien la beauté n’est pas préexistante mais est produit d’un processus intuitif.
Michel Thévoz et sa” Prostitution sacrée” prouve que le concept “casse-pied” de beauté s’impose comme la dénégation d’une horreur primitive indistincte. Il indique aussi que le graffiti contemporain déjoue le paradigme idéologique “beauté/laideur”. Armelle de Sainte-Marie insiste sur le fait que la beauté crée une zone mentale où elle et son contraire (la laideur) clôt sa réflexion sur l’esthétique contemporaine passée de “gazeuse” à “d’ambiance” puis “atmosphérique”, fondée désormais sur le plaisir, le sensible et l’éprouvé. Pour elle, cette évolution est une révolution, elle marque la fin de l’art comme référence esthétique.
Enfin Camille Saint-Jacques dans “La beauté de ma mère” rappelle ce que la beauté doit au désir de reproduire et de se reproduire en des liens entre l’esthétique et l’histoire intime.
Cet ensemble débusque de la beauté dans de nombreux domaines qui ne relèvent pas des catégories habituelles. D’où l’importance et les enjeux d’un tel ouvrage.
jean-paul gavard-perret
Collectif, Beauté(s), L’Atelier Contemporain, Strasbourg, 2023, 136 p.- 20,00 €.