Horvat et le désir
Pour son nouveau “dialogue”, Ettore molinario rassemble pour la première fois deux photographies d’un même créateur : Frank Horvat qui plus qu’un autre a su faire parler l’imagination et le désir et montrer comment les hommes imaginent le désir des femmes.
Il les contemple pour en faire le sujet dans le reportage, la mode et sa recherche. Il a aussi permis aux femmes de le photographier. Non forcément pour une question d’égalité ou de féminisme mais dans un jeu subtil de séduction voire d’auto-analyse à une époque où la caméra était encore aux mains des mâles presque uniquement.
Après un voyage en Inde et au Pakistan et avoir vécu à Londres, Frank Horvat arrive à Paris en 1956. L’agence Black Star lui demande de faire un reportage sur la nuit, la nuit chaude de Pigalle. Sachant soudoyer le gardien du cabaret du Sphynx il y pénètre et rencontre Yvette, une strip-teaseuse de vingt ans, belle comme une des Trois Grâces de Canova. Et ses cheveux rappellent Marilyn Monroe dans le film Bus Stop, tourné la même année. Cette photo resta essentielle pour Molinario.
La fille du photographe lui montra plusieurs planches de contact où Horvat se dépeint dans le miroir du vestiaire avec Yvette. Il lui tendit sa caméra et à celle qui devint son flirt il laissa le soin de le représenter. Ce fut l’occasion rare pour une femme d’explorer le pouvoir masculin et d’utiliser l’instrument qui rend le regard photographique prédateur.
Et ici commença sa “collection” parce que la photographie lui permit “de regarder et de voir, de me regarder et d’être regardé pour l’homme que je suis”. Il comprit qu’Yvette donnait à voir un autre Horvat. D’où ce voyage à l’intérieur de son œuvre dont la muse devint l’image qui rassemble Iris Bianchi, à la mode française pour Harper’s Bazaar et les strip-teaseuses du Crazy Horse.
Personne avant Frank Horvat n’était allé aussi loin dans le jeu de la provocation. Même Helmut Newton n’avait pas encore dit que le nu est en fait une robe, que la mode s’habille et se déshabille, et que le public de ce spectacle, strip-tease ou défilé, n’en est qu’un. Celui du désir masculin.
Horvat avait imaginé que ce sont précisément les femmes qui disaient cette petite vérité, ne contemplant plus le photographe ou son reflet dans le miroir, mais le regardant dans un jeu d’allusions et de correspondances. Cette rencontre était un rêve, “le plus sublime de tous. Je ne sais pas comment prendre des photos, mais les grands photographes prennent des photos pour moi aussi.” conclut Molinario.
jean-paul gavard-perret
Ettore Molinario, DIALOGUES Collezione Ettore Molinario — #27, juillet 2023.