Comment progresse une invention révolutionnaire
C’est en juin 1838 que Louis Jacques Mandé Daguerre débarque sur une petite île de la mer Égée dans le tout récent royaume de Grèce. Il vient retrouver Taki qui fut son condisciple à Paris avant de renoncer à une carrière académique.
Il veut garder secrète sa nouvelle invention et l’Histoire n’a pas encore fait de lui le Père de la photographie. Il vient chercher des réponses à ses questions.
Marko Gavras est un étudiant qui est admis dans nombre d’universités. Mais il hésite à quitter l’île pour plusieurs raisons. Féru de mécanique, il perfectionne sans cesse son vélocipède. C’est à lui que Taki va confier, secrètement, l’appareil de Daguerre. Et celui-ci va s’en servir, expérimenter…
Parallèlement, c’est la vie rude sur l’île, le métier de pêcheuse d’éponges de la mère, le retour de Io, la sœur de Marko qui vient de passer trois ans dans une université viennoise… Mais quand Daguerre apprend que son invention est entre les mains du jeune homme…
Avec le scénario de cet album, l’auteur aborde de nombreux sujets, thèmes et faits de société. Le retour de Io, que sa mère a envoyé étudier à l’étranger, pose la question de la place des femmes dans ces îles où le poids des traditions ineptes prive les femmes de possibilités de s’accomplir. Ainsi, pêcheuse d’éponges fameuse, elle doit le faire la nuit avec une mauvaise barque. Et comme femme, un concours de saut lui est interdit malgré ses capacités.
C’est à travers Io, le retour de Taki, la volonté de Marko de perfectionner l’invention de Daguerre que le scénariste évoque toutes les problématiques liées au départ, à l’exil, la coupure avec la terre natale même si celle-ci n’offre que de maigres possibilités.
Ce sont aussi les interrogations de Daguerre quant à savoir s’il doit faire connaître son invention ou continuer à la garder secrète. C’est l’incertitude qui s’établit face à de nouvelles inventions qui vont bouleverser le mode de fonctionnement des sociétés, des civilisations.
En usant d’une belle galerie de protagonistes finement choisis, aux profils tant psychologiques qu’intellectuels, l’auteur met en scène de belle manière ces différentes thématiques avec un sens du récit approprié et en usant d’humour.
Nikos Tsouknidas assure dessin et couleurs, proposant des planches d’une belle intensité avec un dessin synthétique mais si expressif. Il propose une mise en pages lumineuse, faisant jouer les couleurs éclatantes des paysages grecs, privilégiant le blanc qu’il rehausse de taches de couleurs des vêtements. On peut, cependant être dubitatif quant à la position du photographe sur la page de couverture.
Un récit qui se lit avec une belle attention pour les nombreux thèmes abordés et pour la mise en images lumineuses.
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serge perraud
Nikos Tsouknidas, Portraits, traduit du grec par Jérôme Wicky, Dargaud, juin 2023, 120 p. – 20,50 €.