François Amanecer, La liberté de l’oiseau

وَيَسْأَلُونَكَعَنِالرُّوحِقُلِالرُّوحُمِنْأَمْرِرَبِّيوَمَاأُوتِيتُمْمِنَالْعِلْمِإِلَّاقَلِيلًا 

85 :
« 
Et ils t’interrogent au sujet de l’esprit, — Dis : « l’esprit relève de l’Ordre de mon Sei­gneur ». Et Il ne vous a été donné que peu de connais­sance. »

Sourate 17 (Al-isra), Coran

 

La pluye nous a débuez et lavez,
Et le soleil des­sé­chez et noir­ciz:
Pies, cor­beaulx nous ont les yeulx cavez
Et arra­ché la barbe et les sour­ciz.
Jamais nul temps nous ne sommes assis;
Puis ça, puis la, comme le vent varie,
À son plai­sir sans ces­ser nous cha­rie,
Plus bec­que­tez d’oiseaulx que dez à couldre.
Ne soyez donc de nostre confra­rie;
Mais priez Dieu que tous nous vueille absouldre!

Fran­çois Villon

Fran­çois Ama­ne­cer, poète et essayiste, dans son der­nier recueil inti­tulé La liberté de l’oiseau, pré­cise aux lec­trices et aux lec­teurs que la « liberté de créa­tion » a comme escorte une ins­tance de désir, une sorte d’amativité, une néces­sité d’aimer. Pas dans le sens « du Vogel­frei nietz­chéen, avec son idée d’être libre de toute ser­vi­tude ou avec l’insinuation d’être, tel un pendu hors-la-loi, livré aux oiseaux » — une cer­taine forme d’orgueil mor­bide -, mais une liberté créa­trice ani­mée de man­sué­tude. En ce sens, Fran­çois Ama­ne­cer semble plus proche de l’immense Vil­lon et de son poème confes­sion­nel, La Bal­lade des pen­dus.

L’ouvrage, La liberté de l’oiseau, est découpé en 4 étapes, sem­blables à des confi­dences chu­cho­tées à mi-voix. Et ce sont les mortes, les morts qui reviennent à la sur­face du globe ter­restre, ver­ti­ca­le­ment, leur opta­tion exau­cée ou non du fond de leur hypo­gée.
Plu­sieurs figures sont évo­quées, dont Etty Hil­le­sum, née en 1914, décé­dée à Ausch­witz en 1943 et Ossip Man­del­stam, né en 1891,
mort durant sa dépor­ta­tion vers la Kolyma au camp de tran­sit de Vlad­per­punkt en 1938, tous deux issus de familles juives libé­rales, assas­si­nés dans des condi­tions atroces, et pour­tant enclins au par­tage et à la croyance en la lit­té­ra­ture - à ce pro­pos, Cathe­rine Cha­lier attri­bue à Etty Hil­le­sum une concep­tion mys­tique du judaïsme, tout en émet­tant des doutes quant à sa pos­sible conver­sion au christianisme.

Dans le recueil, le bleu est la cou­leur du tré­pas, du froid, de la pétri­fi­ca­tion du corps dans le cer­cueil : « sou­ve­nir / d’enfant bleu / à la pâleur / gla­cée. », bleu confronté à son contraire, sa cou­leur com­plé­men­taire, le jaune orangé, et ce par­fois de façon oxy­mo­rique : « notre désar­roi, cette tache en nous, jaune résidu de mémoire indé­lé­bile », sous un « soleil si ver­ti­cal que toute créa­ture / est réduite à son empreinte ».
En dépit d’un « lyrisme froid » de la langue, Fran­çois Ama­ne­cer éprouve néan­moins le sen­ti­ment d’une forme de per­du­ra­tion de l’esprit : « 
Il est là, bien mort et cepen­dant revi­vant / dans les insom­nies d’un autre ». Dans le pre­mier para­graphe, il y a 14 titres de poèmes, 14 sta­tions à l’instar des 14 sta­tions tra­di­tion­nelles du Che­min de croix du Christ (la 15ème étant celle de la Résurrection).

La nature y est pré­sente, l’eau, la végé­ta­tion, le cli­mat (bien qu’affecté par des maux vio­lents), les sai­sons - une nature en mou­ve­ment et cepen­dant indif­fé­rente au sort humain. Le for inté­rieur, le che­min inté­rieur est aussi celui que sonde l’auteur, ici, che­min divisé au milieu du caphar­naüm du monde, res­senti par un « per­son­nage glyp­tique ».
La page 36 rap­pelle les moments éprou­vants de
La Jetée de Chris Mar­ker - attrait du néant ou ter­reur de l’oubli ? Quant au poème XIV, c’est une com­plainte, une ode à la « jeune fille dia­phane », peut-être la mer­veilleuse Eli­za­beth Sid­dal flot­tante comme un grand lys…

La poé­sie de Fran­çois Ama­ne­cer n’est pas réa­liste, n’est pas didac­tique, elle est sobre mais ani­mée du souffle, de l’âme, de l’anima (en hébreu nèphèshen grec psy­ché, psu­khê, en arabe roh), du pneuma, terme poly­sé­mique et méta­phy­sique. L’expérience inté­rieure est celle d’une recherche exta­tique, contem­pla­tive, néan­moins rivée à la moder­nité par la pré­sence de l’art contem­po­rain par exemple. Une gamme chro­ma­tique pri­maire éclaire les strophes des courts récits :

Le bleu fut celui de la forêt

(et non du ciel)

le rouge, celui des feuilles

(et pas du feu)

la terre était jaune :

terre ances­trale

terre cen­trale

le blanc, la cou­leur du métal

le noir, celle de l’eau.

S’ensuit un court essai sur la pra­tique poé­tique — « poïé­tique », mot savant se retrou­vant chez Pla­ton, Paul Valery et René Pas­se­ron. Rap­pe­lons que « du reste, Étienne Sou­riau a contri­bué à fécon­der la poïé­tique tout en res­tant fon­da­men­ta­le­ment du côté de l’Ais­thé­sis. Pas­se­ron, parce qu’il est aussi artiste a adopté le point de vue du créa­teur, mais sans renon­cer à réflé­chir sur les fonc­tions de l’apparence et à ce que Valéry appe­lait l’esthé­sique» [Richard Conte, Nou­velle revue d’esthétique, 2017/1, n°19].
Lais­sons l’interprétation à Fran­çois Ama­ne­cer, qui s’appuie sur d’autres réfé­rences : « 
Par la force du désir, l’intellect est en mesure non seule­ment d’explorer la mémoire, mais même d’aller au-delà et de son­der les pro­fon­deurs de l’intériorité »…

yas­mina mahdi

Fran­çois Ama­ne­cer, La liberté de l’oiseau, post­face de Cathe­rine Fro­mil­hague, éd. de Cor­le­vour, juin 2023 - 15,00€.

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