Humour caustique et intrigue retorse
En décembre 1951, un enfant blanc est abandonné par ses parents au Kenya. Il est sauvé de la mort par une girafe.
Il est 6 heures, place des Vosges à Paris ce 12 décembre 2022 et Victoire Miller, commandante divisionnaire, s’impatiente sur ce palier en attendant que la brigade scientifique ait fini. Sophie Marsault, la grand chanteuse, a été retrouvée morte à son domicile, égorgée comme un mouton. Victoire ne trouve rien sur les lieux, pas de traces, pas d’erreur de l’assassin à laquelle se raccrocher. Incongru, elle trouve Sophie la girafe, un jouet pour bébé près du cadavre.
Six ans plus tôt, le 14 juillet, Victoire est à Nice sur la Promenade des Anglais. Elle vient de demander Ben en mariage. Le camion fou tue Ben et lui fracasse la hanche.
Le légiste la rappelle car il a trouvé, tardivement, un dessin sur le haut de la cuisse de Sophie, un dessin troublant fait à l’encre indélébile.
Un couple en partance pour des vacances arrive juste à temps pour prendre son train. Dans la précipitation, le doudou de la petite, une girafe, est perdu. C’est Joseph Lion, un agent de propreté sans papiers, qui la ramasse et la met dans le carton destiné aux objets trouvés. Là, Sophie Malkowski classe et répertorie avec une efficacité remarquable ce qu’on lui apporte. De plus, elle collectionne les girafes.
Mais c’est Gabriel, le jeune adjoint de Victoire qui, par ses recherches, alerte à Interpol un officier qui a présent à l’esprit des affaires similaires inabouties. Or Sophie Marseault, qui travaillait sur une adaptation des Versets sataniques en comédie musicale, recevait nombre de menaces de mort…
Cette enquête policière met en scène une galerie de personnages peu commune. Le couple d’enquêteurs possède des profils assez particuliers. L’héroïne a dû imposer son handicap et retrouver un état d’esprit qui lui permette d’assurer son poste. Les auteurs évoquent avec réalisme et émotion les obstacles que les femmes doivent franchir pour se faire une place dans ces communautés chargées en testostérone.
Son adjoint, un jeune Juif fraîchement sortir de l’école de police, a rompu avec la voie que son père lui destinait sans pour cela renier ses croyances et les multiples actes et interdits qui vont avec. Il se réalise dans la résolution de cette affaire et se révèle tant et si bien que…
Autour de ce duo, gravitent plus ou moins longtemps un commissaire au caractère explosif, un sans-papier, une jeune femme diagnostiquée Asperger à l’âge de douze ans et toute une série de seconds rôles tous superbement conçus, structurés tant psychiquement que physiquement.
Même si les enquêteurs mènent leurs investigations de façon conventionnelle, le mode narratif retenu amène à se poser nombre de questions pour essayer de comprendre où les romanciers veulent emmener leurs lecteurs. Il faut attendre longtemps pour ce qui semble des apartés s’assemblent dans un dénouement amené de main de maître.
Et la girafe, sous de nombreuses formes, comme animal sauvage, en captivité, comme jouet pour les enfants occupe une place importante jouant presque le rôle d’axe central.
L’humour est très présent dans ce roman. Les auteurs n’hésitent pas à faire valoir des avis, des avis truculents, drôles, acides parfois, voire avec des pointes de cynisme : « Derrière les hommes de foi, se cachent les plus grands menteurs. » Ils donnent des observations fort pertinentes comme avec l’annonce du meurtre de la chanteuse : « En une fraction de seconde, la France va devenir un pays d’inspecteurs chevronnés comme elle fut le berceau d’infectiologues du temps du Covid… » Ils développent un art de l’image, de l’adjectif qui identifie une position comme, par exemple à l’issue de portraits: « …exploratrice de l’infiniment oublié, …ils se moquent de son superpouvoir inutile, …plus qu’une épée de Damoclès, c’était une putain d’armurerie qu’il… »
On trouve, offert par Gabriel à Victoire, un livre co-écrit par… Yohan Perez, paru en 2012 : Le code d’Esther.
Avec un ton humoristique, truculent, avec une intrigue menée de façon rouée, le plaisir de lecture de ce roman est décuplé. À ne pas manquer d’autant que L’affaire Sophie M. est le premier volet d’une trilogie !
serge perraud
Lionel Abbo & Yohan Perez, L’affaire Sophie M., Hugo, coll. « Roman », juillet 2023, 232 p. – 19,95 €.
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