Claude Rouyer crée par ses photographies une introspection particulière. « No country for the men » tel pourrait être le titre d’un tel travail où les modèles se cachent et parfois se dédoublent plus qu’ils ne se montrent. Les scènes sont crues mais poétiques dans leur genre. Exit les exutoires propices aux débordements libidineux. L’artiste les « rétropulse » tant sa vision intelligente reste froide comme l’eau hivernale. Si bien que même le brûlant du désir ne peut faire considérer ses photographies comme de la visibilité cutanée. Le corps jouxte soudain des abîmes de la maternité subtilement évoquée là où il arrive qu’un enfant se fasse dans un dos où surgit sa tête.
Le regard plonge dans la nudité de la nudité première. On peut parler de plongeon puisque le regard court le risque de se noyer là où la photographe se plaît à plier le réel par effet « d’eau » dans le courant dévié de la lumière. Chaque prise n’indique pas vraiment le lieu du corps : il l’expose rempli de ses énigmes. On est loin du dogme chrétien de la Révélation : la figuration est autant sous la surface que dessus. La visibilité est à l’état liquide au moment où l’image par immersion se tord et prend un caractère presque saturnien. Elle offre à la fois plus et moins que ce qu’elle donne à voir. Elle ne se veut plus la maison de l’être. Du moins de l’être seul car l’artiste parvient à lui communiquer ce qui pour elle est important. Ce qui remonte à la surface est ce qui jusque là était resté au fond.
jean-paul gavard-perret
Claude Rouyer, Pickpocket, Editions de la salle de bain, Rouen, 2013 — 7,00 €.