Frédéric Potier, La poésie du marchand d’armes

Dans les dédales de l’industrie de l’armement

Après La menace 732 (l’aube — 2022), un remar­quable roman où il abor­dait une ten­ta­tive de coup d’État, Fré­dé­ric Potier inté­resse ses lec­teurs au vaste domaine de la défense du pays, des arme­ments et de la situa­tion de l’armée française.

Abdel Lou­nès, cet ex-enfant de la ban­lieue, n’apprécie que le confort des éta­blis­se­ments de luxe depuis qu’il sert d’intermédiaire aux fleu­rons de l’industrie de la défense fran­çaise. En sor­tant de l’hôtel Royal Mon­ceau, il est enlevé.
Ce même jour, à l’Élysée, Natha­lie Bordes, la pétu­lante pré­si­dente reçoit Vir­gi­nie Trinh Duc, la direc­trice de la DGSI qui l’enjoint à être plus pru­dente, les menaces sont de plus en plus fortes compte tenu de ses prises de position.

Un atten­tat fait explo­ser le chan­tier de construc­tion de fré­gates du groupe Poséi­don, à Lorient. C’est à la capi­taine Nina Meriem, de la DGSI, qu’il revient d’enquêter sur cette affaire où tant d’intérêts finan­ciers et poli­tiques sont en jeu, ce qui n’exclut par le péril car les enjeux sont énormes… Et le chef d’état-major des Armées, le géné­ral Etché­gar­ray, tente déses­pé­ré­ment de joindre Lou­nès car…

Le roman­cier place son intrigue dans les sphères gou­ver­ne­men­tales où la rai­son d’État l’emporte sur toutes les autres consi­dé­ra­tions. À par­tir d’une dis­pa­ri­tion et d’un atten­tat contre une société d’armement, il déve­loppe un récit met­tant en action nombre de pro­ta­go­nistes depuis les gou­ver­nants et leurs sphères jusqu’aux grou­pus­cules divers et variés dont le pays est si riche.
Ce sont, par exemple, des zadistes qui campent près de Lorient pour dénon­cer la fabri­ca­tion d’armes, des clans qui gre­nouillent à par­tir de réseaux sociaux. Il dresse un état, avec quelques chiffres signi­fi­ca­tifs à l’appui, de l’Armée fran­çaise et son arme­ment. L’une et l’autre ont sup­por­tés l’essentiel des poli­tiques suc­ces­sives d’économies bud­gé­taires. Il se demande, d’ailleurs, de façon humo­ris­tique : “… si ce n’est pas toute notre armée qui défile le 14 juillet !”. Or, les menaces sont bien réelles et il rap­pelle l’invasion de l’Ukraine pour mon­trer à quel point la défense d’un ter­ri­toire reste d’une actua­lité brûlante.

Il charge la capi­taine Nina Meriem, res­pon­sable d’une unité de la DGSI, de l’enquête. Celle-ci vient de se plan­ter super­be­ment au concours de com­mis­saire de police, son conjoint a cla­qué la porte emme­nant les jumeaux car il en a marre d’être traité comme une bon­niche. Son état d’esprit qu’elle avait tenté de res­sour­cer en allant à ses racines à Mar­seille, n’est pas au beau fixe.
Il montre la fatigue de ces poli­ciers, de ces enquê­teurs, confron­tés au mépris, à la morgue de de petits voyous, de petits ner­vis, à : “…l’immunité des pour­voyeurs de haine sur les réseaux sociaux qui, mal­gré une quin­zaine de condam­na­tions, n’avaient pas passé une seule nuit en prison.”

Le roman­cier place ses actions dans des lieux de gou­ver­ne­ment, dans les grands ser­vices de l’État, mais aussi à Lorient, Mar­seille, Calvi, le Paci­fique… Des cha­pitres courts, pour suivre au mieux les dif­fé­rents inter­ve­nants, donnent du rythme et une belle ten­sion que le roman­cier sait faire croître avec talent.
Avec une uti­li­sa­tion sub­tile de la situa­tion poli­tique et mili­taire du monde actuel, il nour­rit une magni­fique intrigue, retorse à sou­hait, dont il est qua­si­ment impos­sible de devi­ner la chute. Du grand art romanesque !

serge per­raud

Fré­dé­ric Potier, La poé­sie du mar­chand d’armes, édi­tions de l’aube, coll. Noire, juin 2023, 272 p. — 19,90 €.

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Filed under Pôle noir / Thriller

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