Quand on n’a plus rien à perdre
Jonathan Lassiter habite Keanway, dans le Nebraska, une cité qu’il déteste, où il ne passe jamais rien. Mais dans sa vie, il ne se passe pas grand-chose.
Il travaille dans le cabinet d’assurances Maxwell-et-Fils. Mais, ce jour de septembre 1966, il est licencié et Helen, sa fiancée, ne veut entendre parler de lui. Il est 17 heures 30 quand il quitte les locaux avec fracas. Il pleut à verse. Il se réfugie dans un bar où un homme fête un étrange anniversaire en dissertant sur l’existence.
Quand Jonathan veut régler ses deux doubles whiskies, il n’a plus de portefeuille. Il repense à l’individu qui l’a bousculé tout à l’heure. Le jeune homme est effondré face à la suite de catastrophes qui s’abat sur lui. L’homme se présente comme Edward et règle les consommations. Jonathan lui promet de le rembourser et lui demande son adresse pour le faire le lendemain. Edward propose alors, pour le rembourser, de lui servir de chauffeur car il n’est plus en état de conduire.
Et Jonathan ne sait pas ce qu’il va vivre en compagnie de ce mystérieux individu qui semble avoir des moyens illimités, une folle équipée qui va durer 13heures 17…
Fort du succès de Bertille et Bertille (Bamboo — 2022) où une jeune noble faisait équipe avec un policier bougon, Éric Stalner reprend le schéma qu’il place dans un autre univers. Il retient pour cadre les USA des Sixties et organise une réunion improbable, pour le pire semble-t-il, de deux individus dissemblables.
D’un côté un jeune homme timoré qui subit une série de déboires qui mettrait le moral du plus optimiste au plus bas. De l’autre, un homme qui possède une belle voiture, qui a ses entrées partout et est connu de cette faune louche qui brasse beaucoup d’argent.
Organisés autour d’un récit d’apprentissage accéléré, les rebondissements se multiplient, les situations difficiles, baroques, se suivent à un rythme soutenu. Le scénario se concentre, comme indiqué dans le titre, en un peu plus d’une demi-journée et se déroulant principalement lors d’une nuit bien spéciale pour Jonathan.
On retrouve cette ambiance des romans noirs, des films de gangsters qui ont fait les beaux jours des années 1950–60. Et c’est dans ce laps de temps que le jeune héros devra survivre, se révéler.
Mais le côté polar noir est tempéré par une belle dose d’humour, un ton léger comme si, pour Edward, rien n’avait plus d’importance.
Auteur complet sur ces albums qu’il ambitionne de constituer en série, le présent tome étant le second après Bertille et Bertille, Stalner assure dessin et couleurs. Pour rester dans l’atmosphère choisie, il opte pour une bichromie rehaussée de touches de couleurs pour identifier des éclairages, par exemple, ou le bout rougeoyant d’une cigarette. On retrouve ses personnages si caractéristiques.
Un album d’une grande intensité avec une intrigue forte, une suite de protagonistes hauts en couleurs et un graphisme admirable.
serge perraud
Éric Stalner, (scénario, dessin et couleur), 13H17 dans la vie de Jonathan Lassiter, Bamboo, label “Grand Angle”, mai 2023, 104 p. — 19,90 €.