Pierre Leloup et les peaux de Silence
Certains artistes sacrifient tout à leur œuvre. D’autres — moins égocentrés sans doute et tournés vers l’amitié — partagent leur temps et leur vie entre leur travail d’artiste et leur envie de promouvoir non seulement le leur mais celui des autres, qu’ils soient artiste ou poètes. Pierre Leloup (1955–2010) est de ceux-là. Artiste de dimension internationale, il a refusé les offres de galeries parisiennes pour se concentrer sur “sa” ville. Il lui a donné une dimension culturelle d’envergure sur le plan des arts plastiques. Voulant créer un musée d’art contemporain à Chambéry mais devant y renoncer, il est à l’origine d’une des plus belles écoles d’art de France (“Cité des Arts”). Il fut aussi galeriste, éditeur, metteur en scène et décorateur : bref, l’exemple type d’agitateur culturel. Sans oublier son œuvre, il cultiva de nombreuses amitiés : Plossu, Bourgeade, Noël, Butor, Arrabal. On les retrouve dans deux des trois expositions que Chambéry consacre à l’artiste et que sa compagne (l’artiste Mylène Besson) prépare depuis plus de trois ans.
La plus importante de cette triple rétrospective (Musée des Beaux Arts de Chambéry) permet de voir ou revoir les œuvres majeures de Pierre Leloup. En particulier, ses “peaux” de dos féminins peints sur grands formats. Elles laissent apparaître une vie secrète. Séparée et secrète. De ces corps, rien ne sera dit ou montré. Il n’est pas possible de surmonter l’écart que ces “peaux“‘ génèrent. Néanmoins, elles sollicitent l’imaginaire en attisant de toute leur pudeur les fantasmes. Ceux-ci naissent par la manière dont l’artiste lisse ses pigments afin de polariser la panoplie de songes et de désirs. Les obscurs songes de l’âme, les clairs désirs du corps sont rendus soudain palpables. A la frontière indécise du conscient et de l’inconscient, la peinture se charge de densité de vie par les effets de plan et leur diaphanéité.
Du corps, Leloup ne retient que l’écume. Il en détache la tête pour faire pénétrer un anonymat où apparaissent diverses possibilités. L’artiste par effet de surface ne montre pas les habituels points de fixation sur lesquels l’érotisme s’appuie. Le dos devient une matière aussi abstraite que sensuelle. Reste à savoir ce qui en dévale ou remonte. Tout demeure entre clôture et passage, exhibition et aporie. Dans ce secret et sans visage, l’amour, la nudité, sont rassemblés pour la caresse du regard. Mais de telles toiles soulignent aussi l’absence, l’absolu de l’absence, l’absolument séparé. La peau reste donc une frontière, un barrage plus qu’un passage. Seul l’inconscient peut la traverser car ce n’est plus le visage qui porte et “fiche” la vérité du corps entre sommeil et fable.
Rien ne s’achève. La peau circule, perdue, entre la gorge et les reins. Elle s’égare, murmure. Elle devient ce qui reste un peu avant la chaleur, un peu avant le froid. C’est comme une perte d’équilibre, un autre versant du sommeil. Le corps n’appartient qu’à son mystère. Il faut avancer vers lui, tenter de le saisir. Et ce, avec amour car comme l’écrit Danielle Mémoire : ” l’amour préside au chemin – il n’y a pas de chemin où il n’y a pas d’amour “. C’est pourquoi les toiles de Leloup restent des horizons poétiques mais un horizon qui ne recule plus à mesure qu’on avance.
jean-paul gavard-perret
- « Pierre Leloup, peintures » du Musée des Beaux-arts du 8 novembre 2013 au 24 février 2014,
- « En compagnie de Pierre Leloup, Maxime Godard, photographies », Cité des Arts, Chambéry du 5 novembre au 20 décembre 2013,
- « Pierre Leloup, livres d’artistes », Médiathèque Jean-Jacques Rousseau du 7 au 31 janvier 2014.
Je suis en m a possession d une peinture de leloup “estinale” serriez vous intetresse ?
Bonne journee.