Claude Izner, Qui a tué le Minotaure ?

L’enquê­teur doit entrer dans le labyrinthe

Alors que les Pari­siens fêtent la mi-carême avec une parade joyeuse dans les rues, un Arle­quin se fraye un che­min dans la foule pour rejoindre un Mino­taure. Quand il l’atteint, il chu­chote quelques mots et le Mino­taure le suit. Ils s’engouffrent sous un porche et quelques minutes plus tard, l’Arlequin res­sort. C’est un loca­taire de l’immeuble qui, en fin d’après-midi, va décou­vrir le corps. Il se rend à la police, mais peine à ren­con­trer Auguste Dor­val, le com­mis­saire.
Parce qu’il a trouvé le por­te­feuille de la vic­time, celui-ci se rend au domi­cile du défunt pour annon­cer le drame. Une femme l’accueille. Elle est sur­prise que son mari par­ti­cipe à une parade. Ne serait-ce pas plu­tôt Gaé­tan Bar­din, le cou­sin de son mari ? Il a achevé une pièce de théâtre sur un mythe grec. Or, la des­crip­tion d’une cica­trice iden­ti­fie son époux. C’est bien lui qui était sous le dégui­se­ment du Mino­taure à la place de son cou­sin.
Sammy se rend chez Jeremy Nel­son. Il a besoin d’un alibi car il craint d’être accusé de meurtre. À l’heure où mour­rait le Dr Etienne Gil­bert, il était avec Chloé, une jeune fille qu’il n’a pas le droit de voir seul. Le Doc­teur pro­dui­sait la pièce écrite par Bar­din, La Voile noire que Sammy met en scène. Et, par ami­tié, Jeremy accepte de cou­vrir Sammy, mais…

La légende du Mino­taure sert de fil rouge à cette intrigue qui se déroule en quelques jours au mois de mars 1926. Jeremy Nel­son, un musi­cien de jazz amé­ri­cain, vit à Paris. Il a pour com­pagne, Camille, une musi­cienne clas­sique. Par elle, il est devenu le beau-frère de Vic­tor Legris, le héros d’une saga pré­cé­dente (Édi­tions 10/18).
Dans un Paris qui se remet tout juste des trau­ma­tismes de la Grande Guerre, tout bouillonne et l’effervescence touche tous les domaines. Jeremy, très vite, va devoir aller au-delà de ce qu’il escomp­tait pour inno­cen­ter son ami. Qui pou­vait en vou­loir au Doc­teur qui jouit d’une bonne répu­ta­tion ? Mais est-ce lui qui était visé, sachant qu’il por­tait le cos­tume de son cou­sin ? Et celui-ci a plus d’ennemis. En se rap­pro­chant de la troupe des comé­diens qui répé­taient la pièce sous la direc­tion de Sammy, le détec­tive ama­teur per­çoit des ani­mo­si­tés, des jalou­sies, des ran­cœurs et un pro­blème de drogue.

Des livres avec des meurtres, des cou­pables dif­fi­ciles à iden­ti­fier ont été écrits par mil­liers, voire des dizaines de mil­liers. Donc, même sans tous les connaître, on devrait retom­ber sur des situa­tions don­nant un sen­ti­ment de “déjà-lu”, retrou­ver nombre de simi­li­tudes entre les his­toires.
Or, ce qui est ahu­ris­sant, c’est qu’il se trouve tou­jours une auteure qui réus­sit l’exploit, avec des maté­riaux de base moult fois uti­li­sés, de créer des his­toires nova­trices, des mises en scène et des péri­pé­ties nou­velles. Et Claude Isner excelle dans ce domaine.

La roman­cière déroule un récit sans fausse note, ani­mant une belle suite de per­son­nages tous très par­ti­cu­liers, s’attachant à les décrire en les repla­çant dans l’époque. Elle étaye le récit de faits pui­sés au plus près de la réa­lité his­to­rique. Elle mène un remar­quable tra­vail de trans­po­si­tion, met­tant en œuvre une connais­sance presque ency­clo­pé­dique des évé­ne­ments cultu­rels, poli­tiques.
Elle décrit les vête­ments en usage, les métiers exer­cés et, bien sûr, elle fait croi­ser des per­son­nages authen­tiques qui vivaient à cette époque. Elle remet en mémoire un artiste-peintre bien oublié, Clo­vis Trouille, auteur de tableaux mêlant éro­tisme, anti­mi­li­ta­risme et anti­clé­ri­ca­lisme. Le plus célèbre ou le plus connu est celui qui porte un titre en jeu de mots : Oh ! Cal­cutta ! Calcutta !

Les dia­logues cise­lés, construits avec natu­rel, emportent l’adhésion. Izner mêle avec beau­coup d’à-propos des doses d’humour, usant d’un ton iro­nique pour des réflexions per­ti­nentes, sin­gu­lières sur le com­por­te­ment des humains. Mais, avec le Mino­taure, c’est aussi la légende Thé­sée qui illustre l’ingratitude mas­cu­line, le manque de recon­nais­sance des hommes envers leurs com­pagnes.
Claude Izner signe une fois encore un superbe roman, servi par un sens aigu et sub­til de l’intrigue, un goût pour les per­son­nages tout en demi-teinte, par­fai­te­ment humains avec leurs fai­blesse, leurs défauts, leurs éclairs de rédemp­tion, de grandeur.

serge per­raud

Claude Izner, Qui a tué le Mino­taure ?, Édi­tions 10/18, mai 2023, 288 p. — 16,90 €.

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Filed under Chapeau bas, Pôle noir / Thriller

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