Americana
Très tôt Alex Burke fut sensible à la condition humaine des populations. Ses premières poupées rangées dans leur casier sont la satire d’une société normalisatrice classant les individus en catégories, chacun se trouvant confiné, cloisonné dans un espace social, culturel, géographique.
L’artiste a quitté la Martinique en 1963 pour l’école des Beaux-Arts de Nancy. Séduit par les immenses poupées blanches de la troupe new-yorkaise “Bread and Puppet” de Peter Schumann, il délaisse ses premières influences surréalistes (dont Wifredo Lam), pour chercher sa propre voie, à travers la confection de petites poupées qu’il réalise à partir de fragments de draps blancs usagés et qu’il range dans des boîtes à cigares peintes en noir.
Son travail est alors remarqué en Allemagne puis à Paris. S’ensuit une période de nombreuses expositions personnelles et collectives, notamment et peu à peu ses œuvres s’apparentant, écrit-il, à “des sortes de retables dédiés à des dieux inconnus, splendeurs d’un passé ignoré”.
Il pratique le dessin, à partir de son installation à Paris en 1984. La présence humaine se matérialise sous forme de gisants de grand format, confectionnés à l’aide de fragments de tissus de natures et d’origines diverses. Par la suite, ils se redressent pour être déclinés en petites poupées multicolores, sortes de “kachinas” (esprits représentés parfois sous forme de poupées chez les indiens Hopis et Zuñis du Nouveau-Mexique et de l’Arizona).
Ce leporello montre des compositions multicolores qui contrastent avec la blancheur du support. Elles reprennent et posent les questions identitaires et le danger de l’aliénation des individus selon une posture de résistance, pour dénoncer toutes formes d’assimilation.
Cette démarche se nourrit de l’histoire collective singulière des Amériques et interroge, à travers les pratiques du dessin, du collage l’identité caribéenne tout en dénonçant la domination des intérêts économiques dans le monde qui conduisent à l’asservissement des peuples.
Tout s’inscrit dans une démarche qui se nourrit de l’histoire et convoque la mémoire pour tenter d’éclairer le présent. Pout lui, “Le rôle de l’artiste est d’alerter, de dévoiler, de montrer ce que l’on nous dissimule, de rendre visible l’invisible.”.
jean-paul gavard-perret
Alex Burke, Les Amériques en mémoire, VoixEditions — Richard Meier, leporello, 2023.