La plupart du temps, pour réaliser ses dessins, le peintre et sculpteur belge Thomas Lerooy utilise de vieilles pages de magazines et de catalogues. A partir de ses segments, il crée des oeuvres impressionnantes. Le papier est découpé et collé sur une base : « on peut les voir comme de vieux sols en bois, un parquet fait de lattes » précise le jeune créateur. Sortant ainsi de la peur de la page ou du support blanc, il propose un travail d’une maturité rare qui le ferait passer pour un vieux maître tant il invente un nouveau monde baroque emplit autant des stigmates de la mort que de la vie.
Chaque œuvre (sculpture ou dessin) devient un cérémonial aussi délétère que grandiose. Répondant au poids de l’art qui pèse sur ses épaules, Lerooy en échappe. Il a toutefois illustré sa position complexe face à l’histoire de l’art dans une sculpture fulgurante : une tête immense débaroule du corps qui ne peut plus la soutenir (« Not Enough Brain to Survive »).
Transportant le regardeur aux limites de la condition humaine, l’artiste propose un questionnement philosophique sur l’existence. Ses dessins deviennent une coda réactualisée des « vanités » et ce, dans un esprit belge. L’humour — comme chez Ensor ou Jan Fabre ou encore dans le film « The Mask » ou les travaux de Robert Gober — n’est jamais loin. Il métamorphose le macabre et réanime l’existence de manière grandiose, dérisoire et insolente.
L’œuvre reste un travail de résistance face à tous les enfermements et les captures. Elle ne cesse d’ouvrir les champs des possibles dans un esprit aussi classique que néopunk. Les hybridations transforment les vanités classiques en monstres opérationnels. Des orbites des crânes coulent des pampres et ceux-là deviennent des cornes d’abondance. S’y traduit le mélange des genres au sein de morceaux décomposés, renoués, tordus, enchevêtrés au sein d’anamorphoses inédites.
La puissance poétique fascinante vient de tels rébus et de leur fantaisie. En sort un véritable retour au tragique. Mais selon une ironie et une virtuosité exceptionnelle. Reprenant ce sentiment là où l’avait laissé un Beckett en littérature, un Jaume Plensa en art, l’artiste belge le fait jaillir de manière volcanique, ample et burlesque au sein de farces graphiques. Un tel travail est aussi inquiétant et drôle que sublime. Une nouvelle aventure plastique commence avec lui.
jean-paul gavard-perret
Thomas Lerooy, Bitterweet, Hatje Cantz, 2013, 136 p.