Celle qui a appris à se prendre en compte : entretien avec Amalia Achard (C’est ma nature)

Venue de loin mais en rien reve­nue de tout, Ama­lia Achard, auteure, édi­trice et tra­duc­trice, a appris à se recons­truire par­fois contre vents et marées. Cher­chant d’abord à éclair­cir ce qui s’est passé — pour pou­voir pas­ser outre -, elle a choisi de sor­tir des ver­tiges des abîmes.
Elle a opéré une vaste migra­tion géo­gra­phique et inté­rieure. Tou­jours poreuse au monde et aux autres, elle pour­suit sa route en gou­ver­nant ses émo­tions avec sa rai­son et sa force vitale. Les diverses “par­ti­tions” qu’elle pro­pose émer­veillent et fascinent.

Entre­tien :

Qu’est-ce qui vous fait lever le matin ?
L’espoir. Et le chant d’oiseaux que chez moi, le matin de bonne heure, aucun autre bruit ne perturbe.

Que sont deve­nus vos rêves d’enfant ?
Des livres : poé­sies, auto­bio­gra­phie, même mes tra­duc­tions, et ce n’est pas fini ; il m’en reste tant de beau rêves à recycler.

À quoi avez-vous renoncé ?
En vivant comme j’ai vécu j’avais pen­dant trop long­temps renoncé, sans me rendre compte, à moi, tout en étant convain­cue du contraire. Mais quelle douce révé­la­tion le jour où j’ai réa­lisé qu’après ma fille, j’étais – ou je devais être – celle qui comp­tait le plus dans ma vie !

D’où venez-vous ?
Du pays des légendes, des super­sti­tions inno­centes et de la sagesse popu­laire ; du royaume des forêts vierges, des Car­pates et du Danube ; de l’enfance heu­reuse qui osait le rêve sans le moindre doute ; d’un pays où le sens du mot « paix » était la paix.
Aujourd’hui ce pays se meurt et j’assiste impuis­sante au clo­nage d’un autre, moins unique, moins for­mi­dable. J’entends les cris de ce vieux pays, je res­sens ses dou­leurs, mais je me sou­mets à la résignation.

Qu’avez-vous reçu en “héri­tage” ?
La chance d’avoir connu et vécu dans ce pays fan­tas­tique dont je par­lais plus haut. Une richesse qui ne rentre dans aucun compte ban­caire. Et aussi, le fait que j’ai connu des pay­sans authen­tiques, et la vraie cam­pagne, la sim­pli­cité, la soli­da­rité… J’ai de la peine pour ceux qui ne savent même pas de quoi je parle.

Un petit plai­sir – quo­ti­dien ou non ?
Oui : quo­ti­dien­ne­ment – la lec­ture, bien plus qu’un petit plai­sir. Puis, rare­ment, la mon­tagne, la nature, un coq qui vous réveille à l’aube, une poule cou­veuse et ses pous­sins, une motte de foin – en un mot, la campagne.

Com­ment définiriez-vous votre tra­vail d’éditrice ?
C’est tout, sauf un tra­vail. Plu­tôt une pas­sion, une chance, un cadeau du des­tin que je remer­cie tous les jours.

Com­ment définiriez-vous votre poé­tique ?
Je ne sais pas si on peut appe­ler poé­sies mes piètres ten­ta­tions. Mais elles me sont thé­ra­pie pour l’esprit, voyages pour l’âme, amies de cœur, com­pa­gnies de soli­tude, par­fois explo­sion de colère.

Quel poids repré­sente le passé dans votre œuvre ?
L’avenir, on peut – si on a et on croit à ce don – le pres­sen­tir, ou bien l’imaginer, l’inventer ; le pré­sent devient, avec chaque ins­tant, du passé ; pen­dant que le passé est l’histoire déjà écrite dans la mémoire, alors il est, je crois, le fon­de­ment de mes ouvrages. Et si je vou­lais impro­vi­ser et conju­guer mon écri­ture à un autre temps, le vécu – donc le passé – aurait une grande influence sur mes histoires.

Quelle est la pre­mière image qui vous inter­pella ?
La mort. D’abord celle de ma mamie que je condui­sais, ins­tal­lée dans le char tiré par deux bœufs, à côté de son cer­cueil ouvert, quelque peu consciente qu’elle sor­tait défi­ni­ti­ve­ment de ma vie alors qu’elle m’avait éle­vée depuis mes 11 mois jusqu’à quatre ans.
Puis celle d’une jeune sui­ci­daire, un an plus tard, qui s’était jetée sur les rails et s’était faite écra­sée par le train devant notre mai­son. J’en parle dans mon auto­bio­gra­phie, « Errances ».

Et votre pre­mière lec­ture ?
Un livre de contes de fée – aux­quelles j’ai cru dur comme fer. J’ai été convain­cue jusqu’à très tard que je vais en vivre un. D’ailleurs je me demande si je suis com­plè­te­ment guérie.

Quelles musiques écoutez-vous ?
Le plus sou­vent, le chant des oiseaux. Puis un peu de tout : du clas­sique au hard rock, mais j’ai une pré­fé­rence pour « Roma­nian folk dances » de Béla Bartók.

Quel est le livre que vous aimez relire ?
Ils sont sans nombre : des clas­siques rou­mains, fran­çais, amé­ri­cains (je mets quand même Cio­ran en tête), des dizains de recueils de poé­sie, essais, etc. Et celui que je lis en ce moment, Adio Europa ! (Adieu l’Europe !) de I. D. Sîrbu, un auteur rou­main. Seule­ment, je n’arrive pas à par­ta­ger le temps entre ce que j’aimerais relire et ce qu’il me reste à lire. Rien que pour cela il me fau­drait deux vies de plus.

Quel film vous fait pleu­rer ?
Il m’en faut si peu pour pleu­rer ! Il me vient en tête un film rou­main, « Ion (Yoan en fran­çais), la malé­dic­tion de l’amour, la malé­dic­tion de la terre » une adap­ta­tion du roman social Ion de Liviu Rebreanu (1920). Mais je pour­rais vous faire une très longue liste.

Quand vous vous regar­dez dans un miroir qui voyez-vous ? Une mal­heu­reuse ratée.

À qui n’avez-vous jamais osé écrire ?
À ma fille. C’est peut-être une des rai­sons pour les­quelles j’écris des livres. Dans l’espoir qu’elle va me lire.

Quel(le) ville ou lieu a pour vous valeur de mythe ?
Les vil­lages rou­mains. Sur­tout ceux blot­tis dans les montagnes.

Quels sont les artistes et écri­vains dont vous vous sen­tez le plus proche ?
Mar­ga­ret Mit­chell pour son “Autant nous emporte le vent”, Alexandre Dumas – le pre­mier auteur fran­çais qui m’a fait tom­ber amou­reuse de la France, Emil Cio­ran, dans lequel je me retrouve ample­ment, et quelques autres centaines.

Qu’aimeriez-vous rece­voir pour votre anni­ver­saire ?
La pré­sence de ma fille vaut tous les cadeaux du monde.

Que défendez-vous ?
Le bon sens. La vérité non maquillée. Les traditions…

Que vous ins­pire la phrase de Lacan : “L’Amour c’est don­ner quelque chose qu’on n’a pas à quelqu’un qui n’en veut pas”?
Ceci : Pour­quoi faire simple quand on peut faire compliqué ?

Que pensez-vous de celle de W. Allen : “La réponse est oui mais quelle était la ques­tion ?”
Eh bien, c’est mon état courant.

Quelle ques­tion ai-je oublié de vous poser ?
Si vous l’avez oubliée, de quel droit fuirais-je dans votre mémoire pour la faire sortir ?

Entre­tien et pré­sen­ta­tion réa­li­sés par jean-paul gavard-perret, pour lelitteraire.com le 12 mai 2023.

1 Comment

Filed under Chapeau bas, Entretiens, Poésie

One Response to Celle qui a appris à se prendre en compte : entretien avec Amalia Achard (C’est ma nature)

  1. Villeneuve

    Sin­cé­rité . Sim­pli­cité . Conte de fée . Vie rêvée .

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