Les frères Maffre poursuivent leur saga dans l’Ouest américain avec un héros atypique. Il n’a rien de flamboyant mais il tente de s’opposer à l’injustice, de faire valoir les droits des plus faibles. Qui sont les véritables héros ? Ceux qui roulent des épaules mais restent inefficaces, les grandes gueules qui hurlent des invectives, lancent des injures, des rodomontades ou ceux qui de façon normale privilégient la justice, travaillent dans la discrétion à gommer les inégalités, à porter secours aux plus faibles, aux plus démunis, à lutter contre la dictature ?
Les frères Maffre ont choisi car leur personnage, qui occupe tout l’espace de belle manière, reste fidèle à ses principes, à ses idées même si c’est au détriment de son propre intérêt.
Depuis un an, Elijah Stern habite La Nouvelle-Orléans, en Louisiane. Il est un simple employé au cimetière. Ayant touché sa paye de la semaine, il va la déposer à la banque tenue par le cousin de son employeur. Lorsqu’il s’apprête à ressortir, trois hommes cagoulés et armés surgissent. Le directeur, armé d’un révolver, essaie de les tuer. Il est abattu. Stern est le seul témoin.
Au poste, l’inspecteur Moss compte-tenu des piètres indications d’Elijah pense tenir les coupables. Il lui demande de les identifier, cela sera une simple formalité. Or, les trois Italiens arrêtés ne sont pas les braqueurs. Cette affirmation ne satisfait pas le policier, ni sa hiérarchie qui pensaient avoir une affaire vite réglée. Malgré les pressions, Elijah maintient sa déclaration. Il est alors soupçonné de complicité et mis en cellule avec les trois suspects…
Avec ce protagoniste falot, les auteurs explorent une Amérique loin du western triomphant à la John Wayne. Ils montrent une réalité, le racisme, l’hypocrisie de cette société, la population qui s’emporte sous l’action de quelques meneurs pour faire “justice”.
Et ce qui est frappant, c’est de constater que les idées et les concepts sociaux n’ont guère évolué depuis le XIXe siècle. Le racisme est toujours aussi présent même s’il n’est plus dirigé vers les Italiens, l’hypocrisie règne en maîtresse et des individus trompés par quelques meneurs peuvent toujours se convertir en pseudo-justiciers.
Le scénariste bouscule Stern, le met en situation difficile et met en scène une galerie étoffée de personnages dont certains sont empreints d’une belle humanité. Frédéric Maffre place son lecteur dans la même situation que son héros pour ceux qui ne possèdent pas quelques notions de la langue italienne.
Julien Maffre assure un dessin réaliste, campant en quelques traits essentiels personnages et décors. Loin des cadres grandioses de plaines et de montagnes, le héros circule dans la ville, entre les tombes, dans une atmosphère très pluvieuse qui renforce l’aspect injuste et corrompu du récit.
La mise en couleur nécessite la participation de quatre créateurs autour de Julien Maffre. Les teintes bruineuses, ternes, renforcent l’ambiance délétère dans laquelle se débat le héros.
Avec cette série, les auteurs renouvellent une vision du western, mettent en lumière des dysfonctionnements sociétaux avec un talent remarquable, que ce soit pour le scénario ou pour le graphisme.
serge perraud
Frédéric Maffre (scénario), Julien Maffre (dessin et couleur), Thomas “Pépitom” Lavaud, Bastien Bazar, Karamba Dramé, Samuel Laffitte (couleur), Stern — t.05 : Une simple formalité, Dargaud, avril 2023, 72 p. –16,00 €.