Une pépite
Le flot a commencé. Celui des livres sur le déclenchement de la Première Guerre mondiale. Déjà moult ouvrages peuplent les rayons des libraires sur cet événement dont nous allons fêter le centenaire. Celui du Britannique Christopher Clark détonne par sa qualité. Certes, son épaisseur peut effrayer des lecteurs trop pressés. Pourtant, le style alerte de l’auteur, les portraits tout en nuance qu’il dresse et son sens de la psychologie font de la lecture de son livre un vrai plaisir. C’est particulièrement le cas des chapitres consacrés au coup d’Etat en Serbie en 1903, à l’attentat de Sarajevo et à la crise de juillet 1914. Cette histoire est celle d’une tragédie, et Clark la raconte très bien.
En outre, conformément à la tradition historiographique anglo-saxonne qui rend aux décideurs politiques toute leur importance, il s’intéresse de très près au poids des représentations : comment les politiques perçoivent-ils leurs ennemis, leurs alliés et leurs propres forces ? A plusieurs reprises, il rappelle un aspect capital et sous-estimé : la force des pressions exercées sur les hommes de pouvoir qui, pour être des politiciens habiles et expérimentés, n’en sont pas moins des individus soumis à un stress intense et déstabilisant.
Mais ce n’est pas tout. L’auteur se livre aussi à une révision en profondeur de certaines thèses devenues paroles d’évangile à force de se transmettre de livre en livre. Ainsi conteste-t-il l’idée que le retournement diplomatique britannique de 1904–1908 soit dû aux contentieux avec l’Allemagne. Selon lui, la rivalité coloniale avec la Russie a davantage pesé. De même, il accorde une grande importance au clan « anti-allemand » qui prend les rênes du Foreign Office avec Grey. Il rappelle toute l’importance de la guerre italo-turque de 1911–1912, de la question des Détroits et de la période de détente qui suit les guerres balkaniques : elle ouvre en effet la voie à une recomposition du système international brutalement interrompu par l’attentat de Sarajevo. En revanche, on ne suivra pas ses références à « l’histoire du genre » qu’on ne pensait pas trouver dans une étude sur les causes de la Grande Guerre !
C’est toutefois, selon nous, avec une grande pertinence qu’il ouvre son étude sur la crise politique serbe de 1903. Car, en fin de compte, tout commence en Serbie et dans les Balkans. A force de vouloir trouver les causes de la guerre dans les rivalités coloniales, les poussées nationalistes ou ailleurs, on en est venu à oublier le principal : la crise balkanique qui se transforme en guerre générale.
Clark ne cherche pas à pointer les responsabilités. Ce n’est pas un procureur. Pour autant, il démontre avec acuité combien la Russie joue un rôle néfaste et capital par sa décision de mobilisation de son armée, transformant ainsi une guerre locale en conflit général. On lira avec intérêt ses pages sur le président Poincaré, très influent sur les questions diplomatiques entre 1912 et 1914, ou celles sur Guillaume II qui fait tout pour enrayer la machine infernale dans les derniers jours de juillet.
Si tous les ouvrages sur les causes de la guerre ont cette qualité, on ne pourra que se féliciter de l’avalanche éditoriale sur le centenaire.
frederic le moal
Christopher Clark, Les somnambules. Eté 1914 : comment l’Europe a marché vers la guerre, Flammarion, août 2013, 664 p. - 25 ‚00€
Christopher Clark, Les somnambules. Eté 1914 : comment l’Europe a marché vers la guerre
Une pépite
Le flot a commencé. Celui des livres sur le déclenchement de la Première Guerre mondiale. Déjà moult ouvrages peuplent les rayons des libraires sur cet événement dont nous allons fêter le centenaire. Celui du Britannique Christopher Clark détonne par sa qualité. Certes, son épaisseur peut effrayer des lecteurs trop pressés. Pourtant, le style alerte de l’auteur, les portraits tout en nuance qu’il dresse et son sens de la psychologie font de la lecture de son livre un vrai plaisir. C’est particulièrement le cas des chapitres consacrés au coup d’Etat en Serbie en 1903, à l’attentat de Sarajevo et à la crise de juillet 1914. Cette histoire est celle d’une tragédie, et Clark la raconte très bien.
En outre, conformément à la tradition historiographique anglo-saxonne qui rend aux décideurs politiques toute leur importance, il s’intéresse de très près au poids des représentations : comment les politiques perçoivent-ils leurs ennemis, leurs alliés et leurs propres forces ? A plusieurs reprises, il rappelle un aspect capital et sous-estimé : la force des pressions exercées sur les hommes de pouvoir qui, pour être des politiciens habiles et expérimentés, n’en sont pas moins des individus soumis à un stress intense et déstabilisant.
Mais ce n’est pas tout. L’auteur se livre aussi à une révision en profondeur de certaines thèses devenues paroles d’évangile à force de se transmettre de livre en livre. Ainsi conteste-t-il l’idée que le retournement diplomatique britannique de 1904–1908 soit dû aux contentieux avec l’Allemagne. Selon lui, la rivalité coloniale avec la Russie a davantage pesé. De même, il accorde une grande importance au clan « anti-allemand » qui prend les rênes du Foreign Office avec Grey. Il rappelle toute l’importance de la guerre italo-turque de 1911–1912, de la question des Détroits et de la période de détente qui suit les guerres balkaniques : elle ouvre en effet la voie à une recomposition du système international brutalement interrompu par l’attentat de Sarajevo. En revanche, on ne suivra pas ses références à « l’histoire du genre » qu’on ne pensait pas trouver dans une étude sur les causes de la Grande Guerre !
C’est toutefois, selon nous, avec une grande pertinence qu’il ouvre son étude sur la crise politique serbe de 1903. Car, en fin de compte, tout commence en Serbie et dans les Balkans. A force de vouloir trouver les causes de la guerre dans les rivalités coloniales, les poussées nationalistes ou ailleurs, on en est venu à oublier le principal : la crise balkanique qui se transforme en guerre générale.
Clark ne cherche pas à pointer les responsabilités. Ce n’est pas un procureur. Pour autant, il démontre avec acuité combien la Russie joue un rôle néfaste et capital par sa décision de mobilisation de son armée, transformant ainsi une guerre locale en conflit général. On lira avec intérêt ses pages sur le président Poincaré, très influent sur les questions diplomatiques entre 1912 et 1914, ou celles sur Guillaume II qui fait tout pour enrayer la machine infernale dans les derniers jours de juillet.
Si tous les ouvrages sur les causes de la guerre ont cette qualité, on ne pourra que se féliciter de l’avalanche éditoriale sur le centenaire.
frederic le moal
Christopher Clark, Les somnambules. Eté 1914 : comment l’Europe a marché vers la guerre, Flammarion, août 2013, 664 p. - 25 ‚00€
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