Christopher Clark, Les somnambules. Eté 1914 : comment l’Europe a marché vers la guerre

Une pépite

Le flot a com­mencé. Celui des livres sur le déclen­che­ment de la Pre­mière Guerre mon­diale. Déjà moult ouvrages peuplent les rayons des libraires sur cet évé­ne­ment dont nous allons fêter le cen­te­naire. Celui du Bri­tan­nique Chris­to­pher Clark détonne par sa qua­lité. Certes, son épais­seur peut effrayer des lec­teurs trop pres­sés. Pour­tant, le style alerte de l’auteur, les por­traits tout en nuance qu’il dresse et son sens de la psy­cho­lo­gie font de la lec­ture de son livre un vrai plai­sir. C’est par­ti­cu­liè­re­ment le cas des cha­pitres consa­crés au coup d’Etat en Ser­bie en 1903, à l’attentat de Sara­jevo et à la crise de juillet 1914. Cette his­toire est celle d’une tra­gé­die, et Clark la raconte très bien.
En outre, confor­mé­ment à la tra­di­tion his­to­rio­gra­phique anglo-saxonne qui rend aux déci­deurs poli­tiques toute leur impor­tance, il s’intéresse de très près au poids des repré­sen­ta­tions : com­ment les poli­tiques perçoivent-ils leurs enne­mis, leurs alliés et leurs propres forces ? A plu­sieurs reprises, il rap­pelle un aspect capi­tal et sous-estimé : la force des pres­sions exer­cées sur les hommes de pou­voir qui, pour être des poli­ti­ciens habiles et expé­ri­men­tés, n’en sont pas moins des indi­vi­dus sou­mis à un stress intense et désta­bi­li­sant.

M
ais ce n’est pas tout. L’auteur se livre aussi à une révi­sion en pro­fon­deur de cer­taines thèses deve­nues paroles d’évangile à force de se trans­mettre de livre en livre. Ainsi conteste-t-il l’idée que le retour­ne­ment diplo­ma­tique bri­tan­nique de 1904–1908 soit dû aux conten­tieux avec l’Allemagne. Selon lui, la riva­lité colo­niale avec la Rus­sie a davan­tage pesé. De même, il accorde une grande impor­tance au clan « anti-allemand » qui prend les rênes du Foreign Office avec Grey. Il rap­pelle toute l’importance de la guerre italo-turque de 1911–1912, de la ques­tion des Détroits et de la période de détente qui suit les guerres bal­ka­niques : elle ouvre en effet la voie à une recom­po­si­tion du sys­tème inter­na­tio­nal bru­ta­le­ment inter­rompu par l’attentat de Sara­jevo. En revanche, on ne sui­vra pas ses réfé­rences à « l’histoire du genre » qu’on ne pen­sait pas trou­ver dans une étude sur les causes de la Grande Guerre !
C’est tou­te­fois, selon nous, avec une grande per­ti­nence qu’il ouvre son étude sur la crise poli­tique serbe de 1903. Car, en fin de compte, tout com­mence en Ser­bie et dans les Bal­kans. A force de vou­loir trou­ver les causes de la guerre dans les riva­li­tés colo­niales, les pous­sées natio­na­listes ou ailleurs, on en est venu à oublier le prin­ci­pal : la crise bal­ka­nique qui se trans­forme en guerre géné­rale.

C
lark ne cherche pas à poin­ter les res­pon­sa­bi­li­tés. Ce n’est pas un pro­cu­reur. Pour autant, il démontre avec acuité com­bien la Rus­sie joue un rôle néfaste et capi­tal par sa déci­sion de mobi­li­sa­tion de son armée, trans­for­mant ainsi une guerre locale en conflit géné­ral. On lira avec inté­rêt ses pages sur le pré­sident Poin­caré, très influent sur les ques­tions diplo­ma­tiques entre 1912 et 1914, ou celles sur Guillaume II qui fait tout pour enrayer la machine infer­nale dans les der­niers jours de juillet. 
Si tous les ouvrages sur les causes de la guerre ont cette qua­lité, on ne pourra que se féli­ci­ter de l’avalanche édi­to­riale sur le centenaire.

fre­de­ric le moal

Chris­to­pher Clark, Les som­nam­bules. Eté 1914 : com­ment l’Europe a mar­ché vers la guerre, Flam­ma­rion, août 2013, 664 p. - 25 ‚00€

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