Sur les pas de son héros, Hervé Picart invite son lecteur à une intrigue riche en rebondissements, une suite de rencontres improbables et une belle théorie de protagonistes, ô combien !, singuliers.
Il retient pour cadre une sous-préfecture sur le bord de l’océan en Vendée. Cette cité a perdu son identité, presque sa raison d’être, quand l’océan s’est retiré. Elle se flétrit, nourrissant la nostalgie de la défunte mer, le regret d’une époque révolue. Mais, n’est-ce pas le cas lorsque l’activité principale, économique ou autre, disparaît, comme ces cités du Nord orphelines de leurs mines, des textiles, celles de Lorraine des aciéries…
Antoine Bonneval a toujours été un joyeux drille, incapable de tristesse, d’une quelconque mélancolie. C’est à la mort de son père qu’il prend conscience de sa monstrueuse bonne humeur, ne pouvant ressentir de chagrin.
Son père lui avait dit qu’il ne connaissait pas de ville plus triste que Sienne. Disposant de quelques jours de congés, Audrey, sa compagne étant en tournée théâtrale, il décide de s’y rendre.
Dès son arrivée, il est surpris par l’atmosphère qui règne dans cette cité qui se meurt. L’envasement a eu raison de son état de ville portuaire. L’océan a été repoussé loin, très loin. Il va, alors, faire des rencontres improbables, étonnantes, qui vont l’amener à une découverte bouleversante.
Il est orphelin de sa mère, une femme joyeuse, morte dans un accident de voiture alors qu’il avait cinq ans. Aussi, il est surpris d’entrevoir, lors du passage d’un bus, une inconnue familière, sa mère vieillie. Mais, quand après une recherche, il approche cette femme…
Le séjour d’Antoine va être l’occasion d’une découverte, de faits qu’on lui a cachés pour des raisons recevables dans le contexte de l’époque. Mais, outre ces révélations qui vont secouer le héros, ce sont les rencontres impensables qu’il va faire, les situations qu’il va vivre, les découvertes dont il va être l’acteur ou le témoin. Et Hervé Picart, dans ce domaine, comme dans d’autres, fait preuve d’une imagination redoutable.
C’est ainsi que son héros se voit raconter, par un juge en retraite, une histoire de morts qui s’envoient en l’air. Il pénètre dans une bibliothèque aux règles étonnantes, fait connaissance d’un Secrétaire perpétuel bien particulier. Il va s’installer dans un théâtre dédié à la mer, pénétrer dans une boutique de bons et de mauvais souvenirs. Il va être entraîné dans un jeu d’échecs lampant. Et il va, ainsi, progresser de surprise en surprise.
Cette histoire est nourrie de nombre d’anecdotes, de références littéraires, cinématographiques, artistiques et sociétales. L’auteur fait le panégyrique de Pierre Benoit, un romancier injustement oublié. Il cite Jacques Brel et bien d’autres. Il place, en tête de chaque chapitre une phrase extraite de romans, de poèmes…
Mais, Hervé Picart est un esthète, un adepte des formules ciselées et des images puissantes. L’humour est très présent, un humour subtil, recherché, raffiné, servi par une belle lucidité pour saisir l’essence des situations, pour capter l’étrangeté d’échanges.
L’auteur use d’une écriture toute en subtilité, place un vocabulaire relevé tout en usant d’un langage quotidien. Il ose des virevoltantes langagières de toute beauté, des jeux raffinés avec les idées.
Sienne Marine est un livre qu’il faut déguster même si l’on est titillé par l’envie d’en savoir plus, d’arriver au dénouement de cette histoire riche, élégante, humoristique, avec une intrigue recherchée, adroitement orchestrée.
serge perraud
Hervé Picart, Sienne Marine, Éditions Complicités, février 2023, 180 p. — 18,00 €.