La description d’une agressive menace pour les démocraties…
Ce livre est paru en France, en 2012 aux Éditions de l’Aube sous le titre Portrait critique de la Russie — Essai sur la société gothique.
L’essayiste, à Helsinki où elle réside, vote en 2012 pour l’élection présidentielle en Russie. Elle décrit les mécanismes de fraude électorale conçus par la créativité féconde du régime poutinien. Puis, elle redit la répression, la réhabilitation du stalinisme qui, débutant en 2002–2003, allait bon train. Elle évoque alors la structure féodale, le pouvoir des seigneurs, l’émergence d’une société gothique. Par société gothique, il faut entendre une structure qui prend modèle sur ce qui est médiéval, qui s’inspire du Moyen Âge.
C’est la valorisation d’Ivan IV dit le Terrible, l’archétype du despote tyrannique et cruel qui régna de 1530 à 1584. Elle rappelle les moyens mis en place à l’époque comme l’Opritchnina, le domaine royal, couvrant une large partie du pays, possédé personnellement par le tsar où se déchaînent les opritchniki, une police secrète, une sorte d’escadron de la mort, responsables de la torture et de l’assassinat des ennemis internes du régime tsariste.
(Pour info : le 14 octobre 2016, un monument dédié à Ivan le Terrible est inauguré dans la ville d’Orel, le tsar étant présenté comme un défenseur du pays ayant étendu les frontières de l’Empire.)
Elle montre comment cette société gothique alimentée par la mémoire triomphante des bourreaux, par la banalisation de la Zone, c’est-à-dire tout espace pénitentiaire, par la corruption, soumet les rapports sociaux, transforme le citoyen en cerf.
Mais, comme l’argent du gaz et du pétrole coule à flots, même si certains s’en gavent, par ruissellement le peuple en a des miettes — ce qui favorise l’attentisme, la passivité, voire l’adhésion à ce régime criminel.
Khapaeva décrit l’organisation sociale calquée sur le mode des organisations criminelles. Elle cite quelques éléments du système mis en place, différentes actions de propagande réalisées par le régime pour atteindre ses objectifs comme la réalisation de manuel d’histoire pour les classes terminales où CStaline est qualifié de manager efficace et le Goulag de moyen de modernisation de la Russie.
Elle se livre à des comparaisons pertinentes entre le nazisme, le fascisme et le projet social du Kremlin. Si les deux premiers, bien que puisant des racines dans le passé, avaient des volontés modernistes, le régime russe marque un retour en arrière copié sur celui d’Ivan IV, sur l’instauration d’une néo médiévalisme.
L’auteure souligne qu’en Russie, les millions de morts n’ont pas suffi pour que le PCUS (Parti Communiste de l’Union Soviétique) soit reconnu comme organisation criminelle. Elle dénonce aussi l’utilisation de courants culturels anciens pour la transformation du monstre en héros de notre temps et le déclassement de l’Homme…
Avec cet ouvrage documenté, Dina Khapaeva permet de mieux comprendre le fonctionnement de ce régime, les visées de l’homme qui le dirige. Elle pointe la déshumanisation de la société russe et les menaces qui pèsent sur les sociétés démocratiques.
Pour cette réédition, en 2023, elle intègre dans un avant-propos rédigé en juillet 2022, les conséquences de l’invasion barbare de l’Ukraine, un terrible avertissement pour les démocraties occidentales.
serge perraud
Dina Khapaeva, Crimes sans châtiment — Aux sources du poutinisme, traduit du russe par Nina Kehayan, Éditions de l’Aube, coll. “Monde en cours”, janvier 2023, 248 p. — 24,00 €.