Quand la suspecte fait une coupable idéale…
Les Éditions 10/18 proposent une nouvelle collection en partenariat avec le magazine Society. Il s’agit d’exposer, à travers des affaires criminelles, un visage des États-Unis à raison d’une affaire par État. Les journalistes enquêtent sur des cas significatifs, éclairant une partie de cette société américaine à la fois si puritaine, si hypocrite et si sordide dans ses débordements.
Pour débuter cette série, les éditeurs proposent deux histoires, l’une dans l’État de New York (L’affaire Alice Crimmins), l’autre en Californie (L’affaire du Golden State Killer).
L’affaire Alice Crimmins porte sur l’assassinat de deux enfants et l’inculpation de leur mère qui, aux yeux des enquêteurs, des juges, représentait la coupable idéale.
Ce 14 juillet 1965, dans le quartier de Kew Gardens Hills, Eddy Junior, cinq ans, et Alice, quatre ans, sous la garde de leur mère, disparaissent de leur chambre. La pièce est située au rez-de-chaussée d’un immeuble sis dans une résidence tranquille du Queens.
Alice appelle leur père, qu’elle a mis dehors il y a un an et demi, pour savoir s’ils sont chez lui. Ils se disputent la garde des enfants.
Gerard Piering est chargé des premières investigations. C’est un détective de trente-cinq ans, père de famille nombreuse et fervent catholique. Si la chambre ne présente pas de désordre, ni de traces de lutte, des détails l’alertent. Alice ne présente pas les signes d’une mère inquiète. Il repère de nombreuses bouteilles d’alcool et, sous son lit, trouve une boîte contenant des lettres d’amants, des notes de restaurants dédicacées par des hommes politiques en vue comme le maire de New York, le sénateur Kennedy. Elle fréquente des individus proches de mafias.
Comment cette jeune femme, serveuse dans des bars des environs, peut-elle approcher ces personnages ? Puis, des incohérences dans les déclarations d’Alice, comme du père d’ailleurs, confortent l’idée, à priori, de la culpabilité de la mère. Et tout s’enchaîne…
Avec ce double meurtre, le corps de la petite fille est retrouvé le jour même à moins d’un kilomètre du domicile, celui du petit garçon est découvert à moins de deux kilomètres, c’est tout le fonctionnement d’un système policier et judicaire qui est mis en lumière avec ses préjugés, et ses carences.
C’est un système où règne le cynisme, où il n’y a ni conscience professionnelle, ni remords, où les intérêts personnels et le carriérisme passent avant tout. De plus, il faut effacer les manquements, les erreurs en faisant condamner.
Anaïs Renevier mène, au premier semestre 2022, une enquête sans idées préconçues. Elle interviewe des anciens témoins, des anciens acteurs du drame. Elle se livre à un beau travail de documentation, de recherche dans les archives municipales tant à New York qu’en Floride où vit Alice. Elle épluche les articles des journaux de l’époque, ceux qui ont couvert cette saga judiciaire car celle-ci s’est poursuivie pendant de très nombreuses années avec libération, annulation d’une condamnation, retours en prison…
Son histoire a inspiré, entre autre, La Maison du guet, un roman publié en 1975 par une romancière presque inconnue à l’époque : Mary Higgins Clark.
Le récit est complété par deux cartes, les quartiers de New York, celui de Kew Gardens Hills, d’une chronologie depuis le mariage d’Alice en novembre 1958 jusqu’en 2012, et de la liste des principales sources.
Anaïs Renevier signe un document captivant, nourrit aux meilleurs sources, passionnant à découvrir pour cette affaire hors-norme.
serge perraud
Anaïs Renevier, L’affaire Alice Crimmins, Éditions 10/18, coll. “Reportage & document” n°5838, mars 2023, 208 p. — 7,50 €.