Philippe Chenaux, La fin de l’antijudaïsme chrétien. L’Église catholique et les Juifs de la Révolution française au concile Vatican II

La récon­ci­lia­tion avec les frères aînés

L’étude des rela­tions entre le judaïsme et le catho­li­cisme est un sujet ô com­bien com­plexe et dou­lou­reux. Le rejet du pre­mier par le second occupe une place de choix dans le réqui­si­toire dressé contre l’Eglise romaine.
Il faut donc un his­to­rien aussi qua­li­fié que Phi­lippe Che­naux pour abor­der l’analyse d’une période par­ti­cu­liè­re­ment cru­ciale, celle des XIX-XXe siècles, qui vit à la fois l’aggravation des sen­ti­ments hai­neux à l’encontre des Juifs et une récon­ci­lia­tion aussi abso­lue que sin­cère, laquelle fait hon­neur aux catholiques.

En effet, il y avait tout d’abord un héri­tage historico-théologique issu de la Pas­sion du Christ, cette accu­sa­tion de déi­cide tom­bée sur l’ensemble d’un peuple qui, pour­tant, sous la plume de Saint Paul, reste “le peuple du salut” dont on attend la conver­sion.
Toute l’ambiguïté des rela­tions judéo-chrétiennes trouve ici ses racines, d’où une papauté pro­té­geant les Juifs phy­si­que­ment tout en vali­dant leur exclu­sion afin de pro­té­ger les chré­tiens de leur influence jugée néfaste.

Arrivent ensuite les thèses racistes du XIXème siècle qui ne tou­chèrent qu’une par­tie du monde catho­lique, pas­sant de l’antijudaisme tra­di­tion­nel à l’antisémitisme, ce qui chan­geait la nature du pro­blème. Disons-le net­te­ment, jamais Rome ne valida cette évo­lu­tion, ce que démontre très bien Phi­lippe Che­naux. Comme il ana­lyse avec clarté la réac­tion à cette trans­for­ma­tion : un phi­lo­sé­mi­tisme catho­lique œuvrant à une récon­ci­lia­tion, même si, y com­pris dans ces cou­rants, l’attente de la conver­sion res­tait de mise.
D’ailleurs, le rôle des conver­tis est très bien mis en lumière. Les obs­tacles furent nom­breux car bien des pro­po­si­tions, évi­dentes de nos jours mais auda­cieuses à l’époque, cho­quaient les concep­tions des res­pon­sables reli­gieux. Ce fut le cas avec les demandes de trans­for­ma­tions litur­giques pour l’abandon de la for­mule des “Juifs per­fides” du Ven­dredi Saint.

Une papauté donc imper­méable aux thèses anti­sé­mites, même sous Pie XII dont l’attitude pen­dant la guerre est étu­diée en détails à la lumière des archives récem­ment ouvertes du pon­ti­fi­cat. Le pape Pacelli tenta bien l’impossible pour sau­ver les per­sé­cu­tés, même si le cercle diri­geant du Vati­can conser­vait une méfiance reli­gieuse à l’encontre du judaïsme.
Ce qui explique entre autres, mais pas seule­ment, l’hostilité au mou­ve­ment sio­niste. Il fal­lut attendre le choc de la Shoah et un nou­veau pon­ti­fi­cat pour fran­chir une étape décisive.

Ce tra­vail fut réa­lisé, en amont, par plu­sieurs per­son­na­li­tés, catho­liques pour la plu­part, comme Mari­tain qui avait com­pris un élé­ment abso­lu­ment cru­cial : “l’antisémitisme n’était rien d’autre qu’une forme d’antijudaïsme”, ce que le nazisme exprima dans toute son hor­reur. Dès lors que plu­sieurs res­pon­sables ou intel­lec­tuels de haute volée s’en trou­vaient convain­cus, Jean XXIII puis Paul VI purent mener la récon­ci­lia­tion jusqu’à son terme: Nos­tra aetate, la décla­ra­tion conci­liaire sur les reli­gions non chré­tiennes.
On notera à cette occa­sion deux élé­ments impor­tants : ce texte recon­naît les racines juives du chris­tia­nisme plus qu’il ne condamne l’antisémitisme d’une part, et il a été élargi à l’ensemble des reli­gions non chré­tiennes d’autre part — ce qui n’était pas prévu à l’origine — pour ne pas lui don­ner l’apparence d’un sou­tien à Israël. Foi et diplo­ma­tie comme tou­jours à Rome…

Cette belle et claire syn­thèse apporte des élé­ments cen­traux sur ce pro­blème qui concerne aussi bien Chré­tiens que Juifs. Car là où l’on tue des Juifs, on finit tou­jours par tuer des Chré­tiens. Depuis les geôles de Rome jusqu’aux camps nazis, en pas­sant par la haine islamiste.

fre­de­ric le moal 

Phi­lippe Che­naux, La fin de l’antijudaïsme chré­tien. L’Église catho­lique et les Juifs de la Révo­lu­tion fran­çaise au concile Vati­can II, Les édi­tions du Cerf, mars 2023, 308 p. — 24,00 €.

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