Peter Hart le libérateur — entretien avec le poète (sans maître)

Spécia­liste de tau­to­lo­gies hors de leurs gonds, Peter Hart est un empê­cheur de tour­ner en rond. L’éradication devient la marque de fabrique d’une telle écri­ture de la néces­saire dis­si­dence. L’auteur refuse de “poé­ti­ser” et opte pour une radi­ca­lité qui demeure conqué­rante.
Dès lors, le ver­ba­lisme poé­tique exprime une dif­fé­rence essen­tielle. Comme tom­ber et tombe, tom­bait et tom­bera. C’est comme si la réa­lité était non dans le verre mais en ses états cou­pants.
Ainsi,la ren­contre tel que l’entend Rim­baud devient le ren­ver­se­ment qui déplace le centre de gra­vité. Il faut donc oser “chu­ter” dans une telle oeuvre et sa révé­la­tion. Toute réa­lité n’aura d’âme qu’en effa­çant bien des élé­ments de la psy­ché et en rem­pla­çant le miroir par la fenêtre. Pour pas­ser à travers.

Entre­tien :

Qu’est-ce qui vous fait lever le matin ?
La faim.

Que sont deve­nus vos rêves d’enfant ?
Ils sont des­cen­dus en enfer libé­rer tous les pécheurs avant de mon­ter aux cieux cra­cher à la figure du père et voler le poste du fils. Depuis, ils passent leur temps à idéa­li­ser le jour où ils pour­ront pré­tendre au mini­mum vieillesse.

A quoi avez-vous renoncé ?
Les infos, le tra­vail, la société, l’humanité, la nuit, le jour, la com­mu­ni­ca­tion, la com­pré­hen­sion, les visions linéaires et cycliques de l’histoire, les visions, le passé, le futur, le libre arbitre, le déter­mi­nisme, l’identité, l’identification, l’individu, la vie, la mort, l’existence comme tota­lité, la tota­lité comme exis­tence, le drui­disme, le gnos­ti­cisme, la théo­lo­gie néga­tive, le boud­dha.
Punk is not dead.

D’où venez-vous ?
Je suis né dans un vil­lage qui porte le nom d’un poète puri­tain anglais qui avait mani­festé une admi­ra­tion refou­lée pour Satan.

Qu’avez-vous reçu en “héri­tage” ?
L’autisme et l’apocalypse scientologique.

Un petit plai­sir — quo­ti­dien ou non ?
Ça va de soi : le goû­ter, c’est obli­ga­toire, l’organisme est ainsi fait ; ce ne sont que des stoï­ciens sévères qui n’en prennent pas.

Quelle est la pre­mière image qui vous inter­pella ?
LA tête du Christ ou de Frank Zappa. À l’époque, je croyais que c’était la même per­sonne. Plus tard, j’ai appris à ma grande décep­tion que Zappa était libertarien.

Et votre pre­mière lec­ture ?
La mémoire
en tant qu’expérience,
l’expérience
en tant que
parole, la parole en tant
qu’imagination.

L’imagination en tant qu’action,
l’expérience en tant
que l’image pos­sible
de l’imagination, l’imagination
en tant que l’image
impos­sible de l’expérience.

La parole en tant que l’image pos­sible
de la fin, l’action
en tant que l’image
impos­sible du début
à la fin.

Le début en tant
qu’image.

L’expérience en tant que
salle d’isolement
d’une imagination

qui pète les plombs à cause
de l’arrogance impar­don­nable
de la parole
invertébrée.

Quelles musiques écoutez-vous ?
Que des bruits, tous les bruits, le brui­tisme dans toutes ses formes. La musique ali­mente l’esprit, les bruits puri­fient l’âme. Le choix est simple.

Quel est le livre que vous aimez relire ?
LE livre, éven­tuel­le­ment le seul, celui qui com­mence par la lettre qui veut dire « maison ».

Quel film vous fait pleu­rer ?
“La Mouche” de David Cronenberg.

Quand vous vous regar­dez dans un miroir qui voyez-vous ?
Un singe trop sen­sible pour por­ter un costume.

A qui n’avez-vous jamais osé écrire ?
Julien Blaine.

Quel(le) ville ou lieu a pour vous valeur de mythe ?
Le vor­tex spatio-temporel autour de l’église des Refor­més à Mar­seille, muse irré­vo­cable de tous les artistes de la ville ainsi que le site des appa­ri­tions de notre chère femme-grenouille.

Quels sont les artistes et écri­vains dont vous vous sen­tez le plus proche ?
Tar­kos, Ma Desheng, Charles Pen­ne­quin, Babouillec, Damien Schultz, The Four Hor­se­men, Daniel Johns­ton, Black Flag, Derek Bai­ley, Aids Wolf, Josef Schovanec.

Qu’aimeriez-vous rece­voir pour votre anni­ver­saire ?
Des livres et au moins quelques années de plus sur cette mau­dite pla­nète que les sages n’ont pas su sauver.

Que défendez-vous ?
1. Une poé­sie libre de toutes les modes et exi­gences de la lit­té­ra­ture.
2. Les droits des per­sonnes han­di­ca­pées et la lutte contre la dis­cri­mi­na­tion.
3. L’expropriation des grandes for­tunes et leur inter­ne­ment dans des camps de tra­vail (parce qu’il paraît qu’ils aiment bien travailler).

Que vous ins­pire la phrase de Lacan : “L’Amour c’est don­ner quelque chose qu’on n’a pas à quelqu’un qui n’en veut pas” ?
On ne peut pas don­ner
ce qu’on n’a pas, on donne

ce qu’on n’a plus, ce qu’on n’aura
plus, ce qui ne nous manque pas,
ce qui ne pour­rait pas
nous manquer,

ce qui n’a plus sa place chez nous,
ce qu’on ima­gine chez l’autre,
ce qui lui manque,
ce qui ne lui manquera

plus, plus jamais,

dans le meilleur des mondes.

Quand on ren­contre chez nous
l’exilé, la terre pro­mise
fleu­rit plus que jamais,

la dis­tance s’efface, l’espace
évolue,

mais ceci n’est pas le vrai amour.

Que pensez-vous de celle de W. Allen : “La réponse est oui mais quelle était la ques­tion ?“
Ça dépend de qui l’a posée. S’il le savait, c’est déjà ça, en par­tant du prin­cipe que c’est pos­sible de le savoir.

Quelle ques­tion ai-je oublié de vous poser ?
Qui est le Grand Gou­rou du Col­lec­tif de Contre-déterminisme Magique ?

Entre­tien et pré­sen­ta­tion réa­li­sés par jean-paul gavard-perret, pour lelitteraire.com le 22 mars 2023.

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