Si le langage dort, il ne faut surtout pas le réveiller car il pourrait mentir. S’il se lève, préparons ses bagages et il s’en ira.
Néanmoins, par politesse, posons doucement devant lui le café, le cendrier, les cigarettes au cas où il sente trop seul, trop désespéré par l’infirmité de son comment dire qui n’est que comment taire. Le prétendu acier de ses mots ne coupe que les branches sèches de l’arbre du Verbe planté au premier jour des bibles et des talmuds.
Là déjà, le serpent se mordait la queue si bien que, depuis, son quaqua de toute part reste sans cesse différé. La question n’est en rien ce qu’il restitue mais ce qu’il substitue. Elle demeure essentielle, immobile, torrentielle.
Elle ne se détache pas de ce qui se tricote en incantations farcesques et lyrisme à deux balles qui gardent l’outrecuidance de prétendre hanter le non-dit. Rien de plus précaire que cette hypostase par métaphores interposées ou autres artefacts. Son avènement se veut fondation mais demeure philtre dérisoire et “ruines hébétées” (Beckett).
Seul le temps est éternel et l’a toujours été et, dedans, les mots restent le peuple décimé à l’étonnant festin anthropophage. Néanmoins, en sa nuit de cendres se succèdent les clameurs qui voudraient étouffer tous les naufrages. Mais feu éteint se drague peu qui vaille par ce qui en sort trop tard ou trop mal.
Au jeu avec les mots, leurs cadavres se vengent. Croire prendre le réel à la gorge, c’est le pendre, en un bégaiement amputé de lui-même, sans rien connaître même de la douceur de femmes sous la pluie et blessées par des codes pornographiés qui se prétendent des trophées et ne sont que débordements ou cataplasmes d’un artisanat masculin erratique et prédateur propre à fantasmer ce qu’il ne peut offrir, forger et espérer.
Ne restent que l’anamnèse, l’inarticulé — sédiments de langue, négatifs agrandis où résonne l’abîme pour lui passer les fers mais trop naïvement crus fixés. Bref, la vérité est une femme : elle conserve sa liberté qui effraie et angoisse ceux qui croient la dire et la parler.
jean-paul gavard-perret
Photo Gianni Giraudi