Je pars sans moi (Isabelle Lafon)

Un indomp­table feu­le­ment intérieur

Deux femmes s’avancent au bord du pla­teau, len­te­ment, venues d’une tra­vée laté­rale. Leur regard est droit, elles ont une parole franche, mais détour­née. Elles ins­tallent par leur parole ouverte et adres­sée une rela­tion intime et indé­ter­mi­née.
L’une est une patiente, elle se pré­sente comme « Made­moi­selle M. », parle d’elle à la troi­sième per­sonne, annonce les besoins qu’elle pour­rait expri­mer, d’une façon tout à la fois réflexive et non maî­tri­sée. L’autre pour­rait être psy­chiatre, elle écoute, déclare qu’elle n’a pas encore décidé de son iden­tité, incarne fina­le­ment une amie de la pre­mière, Babeth, à ten­dance éro­to­mane. Les deux tissent des échanges qui paraissent impromp­tus, nour­ris­sant un lieu savant, ténu, puis­sant, fait de dérives à la fois conte­nues et surprenantes.

L’écri­ture déli­cate d’Isabelle Lafon donne lieu à un pro­pos riche, explo­rant un large spectre d’affections, appro­chant les patho­lo­gies sans les nom­mer, sans les dési­gner, pour les sai­sir dou­ce­ment dans leurs effets dis­cur­sifs.
Le texte est ins­piré de Gaë­tan de Clé­ram­bault, de témoi­gnages d’aliénés, de Fer­nand Deli­gny, mais il témoigne d’une patte sen­sible, atten­tive, toute de dou­ceur pénétrante.

Il s’agit d’une véri­table glis­sade ver­bale, qui nous emporte dans un dire sans fond, jouant oppor­tu­né­ment des seuls élé­ments de décor dis­po­nibles, une porte et un tabou­ret, pour nous lais­ser dans le doute, un doute trem­blant, non assuré, qui laisse l’impression lan­ci­nante mais sédui­sante d’un flot­te­ment indis­cer­nable, comme le feu­le­ment d’un indomp­table vent intérieur.

chris­tophe giolito 

 

Je pars sans moi 

concep­tion et mise en scène Isa­belle Lafon

© Laurent Schneegans

Écri­ture et jeu Johanna Kor­thals Altes, Isa­belle Lafon.

Lumières Laurent Schnee­gans ; cos­tumes Isa­belle Flosi ; assis­ta­nat à la mise en scène Jéza­bel d’Alexis ; admi­nis­tra­tion Daniel Schémann.

À La Col­line, 15, rue Malte-Brun 75020 Paris 01 44 62 52 52

du 17 jan­vier au 12 février 2023 au Petit Théâtre

Du mer­credi au samedi à 20h, le mardi à 19h et le dimanche à 16h
relâche dimanche 22 jan­vier, durée 1h.

Pro­duc­tion Les Mer­veilleuses, copro­duc­tion La Col­line – théâtre natio­nal, L’Azimut – Antony, Châtenay-Malabry.

Remer­cie­ments à Yanis et Patrick Lau­pin pour l’emprunt du vers « Je pars sans moi » extrait de l’ouvrage de Yanis Ben­hiss­sen, Le Livre de Yanis, livre de ren­contres dans les écri­tures avec Patrick Lau­pin, paru aux édi­tions La rumeur libre en 2017.

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