Les Horizons et les Corps : Louis-Michel de Vaulchier
« Passage d’Encres » s’oriente de plus en plus vers la littérature expérimentale. L’a-venue et Matelamatique des genres de Louis-Michel de Vaulchier en furent, il y a quelques années et chez le même éditeur, des témoins évidents. Physique de l’horizon confirme ce caractère exploratoire. Le sous-titre de cet ouvrage « théorèmes et poèmes, notes et figures d’un cahier de laboratoire » prouve qu’il s’agit d’une sorte de « journal » des œuvres précédentes. Mais pas seulement. Des textes épars mais significatifs de l’auteur s’y trouvent consignés. Plans, angles, horizons, lieux, rêves procèdent autant par laïus que notes ou courts poèmes en une réalisation littéraire et parfois plastique. Il y par exemple des « courses avec des ras ». Pas n’importe lesquels : de ces ras d’eau qui ne médusent pas mais dont l’horizon permet dit l’auteur « d’apercevoir cet étranger que je suis devenu » et qui une fois de plus trouble les sexes et donc les genres.
Ici la lumière — qu’elle baisse ou non — ne dissout pas forcément la boue de tels horizons et la rondeur paradoxale de leurs angles droits. L’épaisseur du monde et ses sombres remugles demeurent. Néanmoins, les puissances qui semblent nier ou réduire l’être à ne devenir qu’un scintillement fugace n’empêchent pas la présence réelle de ce dernier en ce « ras » qui n’est pas l’anéantissement du réel mais, dans sa « bassesse », en devient l’écume. L’accumulation des notes, des pages arrachées, des ébauches résiste à toute défaite. Elle vient finalement frapper à et jusqu’au « dernier mur » pour le pénétrer afin qu’il fusionne avec le corps. Par retour, il le fait se mouvoir.
« Chaque corps est un horizon » écrit l’auteur dans l’ultime page de son livre. Preuve que le monde bouge et que l’horizon n’est pas une ligne fixe mais une ligne qui danse. Le mur reste le passage que le poète — nécessaire ignorant — ouvre entre la lumière et l’opaque. L’être — qui ne s’y abîme pas mais à l’inverse l’épouse — atteint une plénitude au sein d’un labyrinthe de molécules, lettres, traits, flèches et images. Ce qui est attendu, guetté, espéré est atteint. La possible émanation du corps latent surgit là dans une espèce de grâce chorégraphique tenue à la fois pour précaire et essentielle. L’horizon est le corps, le corps est l’horizon : insaisissable point de rencontre de – peut-être – l’éphémère et l’invisible.
jean-paul gavard-perret
Louis-Michel de Vaulchier, Physique de l’horizon, Trace(s), Passage d’Encres, 56310 Guern, 2013, 152 p. - 20,00 €.