Des hommes scellent un pacte avec des géants en des temps si lointains que seuls quelques mythologues peuvent encore en faire écho. C’est ce que raconte un troubadour, expliquant ainsi les abymes et à-pics vertigineux du royaume.
À Rochechinard, le baron Barrachin Alleman, ce 27 juin 1483, écrit à sa Douce qu’il part à la rencontre du prince Djem, un fils de Mehmet II le Conquérant, dont il aura la garde. Dans son empire, celui-ci est menacé par son frère. C’est donc auprès des Chrétiens, de l’Ordre de Malte, qu’il a trouvé refuge depuis deux ans, deux ans d’errance.
L’arrivée de ce personnage illustre suscite la curiosité des personnalités de la région. C’est ainsi que Jacques de Sassenage, baron de la Bastie, l’invite dans son château. Ses deux filles Philippine, l’aînée, et Isabeau se chamaillent lorsque le prince arrive. La vision de Philippine l’envoute. Or ses fidèles, des Musulmans, peuvent-ils comprendre et admettre qu’il s’intéresse à une chrétienne ? Cependant, les sentiments réciproques sont les plus forts.
Mais la politique prend le dessus sur l’humain et il est emmené ailleurs au désespoir de Barrachin qui a le cœur déchiré quand il entend Djem l’interroger sur les raisons de ce départ. Et la suite est à l’image de cette situation car…
Avec cette histoire, ce tout petit moment de la grande Histoire, André Houot aborde nombre de sujets, nombre de thèmes qui sont encore aujourd’hui d’une brûlante actualité. C’est d’abord, la notion d’asile, cette protection d’une personne menacée à qui on offre un havre de sécurité. Si actuellement ce concept est à peu près respecté, on le voit avec certains lanceurs d’alerte, il reste quand même bien fragile face aux intérêts “supérieurs” que sont les enrichissements de quelques-uns.
C’est également le libre arbitre de la femme quand des sociétés ou des familles décident pour elle sans tenir compte de ses aspirations. Il montre le poids des religions qui freine les élans, étouffe les sentiments, culpabilise ce qu’il y a de plus beau, un amour naissant.
André Houot recrée, avec talent, cette atmosphère de l’époque où la réalité et le merveilleux cohabitaient étroitement, quand les croyances de toutes natures s’invitaient dans le quotidien de la population. Il assure un dessin réaliste, presque hyperréaliste, propose des personnages étoffés et des décors de toute beauté. Les vues de la forteresse de Rochechinard, dont il rétablit la splendeur et la verticalité, sont époustouflantes.
Jocelyne Charrance reconstitue avec soin et véracité les couleurs s’appuyant sur les teintes qu’il était possible de mettre en œuvre en ce XVe siècle. Elles enchantent les planches.
Un nouvel album d’un auteur à la riche carrière où celui-ci met en scène une galerie étoffée de personnages entraînés dans des événements tragiques avec un graphisme attrayant au possible.
serge perraud
André Houot (scénario & dessin) & Jocelyne Charrance (couleurs), Asile !, Glénat, coll. “24x32”, février 2023, 48 p. — 14,50 €.