Une ode monumentale à l’irrépressible disparition
Quand le rideau s’ouvre, on découvre, dans un décor sobre, presque fragile, dressé, renfrogné, Denis Lavant, l’immobilité : le comédien impose d’emblée sa structure fine, simiesque, statique, qui rend sensible à ses moindres mouvements. Les déplacements de son corps sont lourds, scandés, ponctués de gestes brusques et inefficaces.
On assiste d’abord à des superbes exclamations monosyllabiques : mélange d’imprécation, de confirmation, d’objurgations. Les deux personnages principaux semblent chercher à ralentir le temps ; ne s’attachant à rien, ils ne signifient que l’amenuisement.
Pourtant, ils se plaignent aussi de la lenteur des choses. La pièce apparaît donc comme une réflexion sur l’inexorable disparition, rendue insupportable à elle-même.
On ne cesse de parler de la fin, sans parvenir à la convoquer ; ils semblent vivre dans une malédiction inaccomplie.
Jacques Osinski fait le choix de rendre la durée sensible, de tendre les répliques au moyen du silence. Il s’agit d’une option judicieuse, qui laisse entendre tous les aspects du texte, dans sa richesse et son indétermination. Hamm, interprété avec brio par Frédéric Leidgens, est celui qui s’écoute ; présenté comme le maître de ce petit monde, il ponctue l’inamissible inaction de solennels « cela avance ».
Mais plus le propos suit son cours, plus les répliques sont parsemées ; elles disent sans cesse la fin impossible, la rémanence d’une visée intime qui n’en finit pas de ne pas advenir.
Une grande mise en scène, servie par deux acteurs au sommet de leur art : une représentation accomplie, riche, édifiante, digne d’un monument du répertoire, propre à en souligner la valeur, la richesse et les subtilités.
christophe giolito
Fin de partie
de Samuel Beckett
mise en scène Jacques Osinski
© Pierre Grosbois
Avec Denis Lavant, Frédéric Leidgens, Claudine Delvaux et Peter Bonke
Scénographie Yann Chapotel ; lumières Catherine Verheyde ; costumes Hélène Kritikos ; photographies Pierre Grobois.
Texte publié aux Éditions de Minuit, 1957.
Au Théâtre de l’Atelier, 1 place Charles Dullin, 75018 Paris
Billetterie 01 46 06 49 24 billetterie@theatre-atelier.com durée 2h.
À partir du 19 janvier 2023 au 5 mars ; du mardi au samedi à 19h, le dimanche à 15h.
Prolongations du 9 mars au 16 avril 2023, du mardi au samedi à 21h, le dimanche à 17h.
Production Compagnie l’Aurore Boréale Co-production Châteauvallon-Liberté, scène nationale
Théâtre de l’Atelier. Spectacle créé avec le soutien de la Direction Régionale des Affaires Culturelles d’Île-de-France et le Ministère de la Culture.