Jeanne Guien (docteure en philosophie, ancienne élève de l’École Normale Supérieure, agrégée de philosophie), livre une étude approfondie et inédite de l’histoire industrielle du « marché de l’hygiène féminine ».
Comme nous le découvrons dès le premier chapitre, l’histoire des menstrues inclut l’histoire de l’hygiène qui croise bien évidemment l’histoire de la contraception et celle de l’obstétrique. Cependant, « l’activisme menstruel n’est pas une nouveauté ».
Jeanne Guien évoque la biologisation de la femme à travers la publicité, le marketing, l’implémentation du monde de l’entreprise afin de manufacturer et de vendre des millions de produits menstruels à un coût économique non négligeable pour le budget des femmes les plus pauvres.
Réduites à une essence infrangible de genre, assignées à un contrat social et moral, les femmes sont soumises à un « stigma menstruel », dans lequel les paradigmes discriminatoires abondent — corps contraints, uniformisés, standardisés, « dressés ».
L’unique but des entrepreneurs est de fidéliser une clientèle qui achètera des serviettes et des tampons hygiéniques ainsi que des produits dérivés censés améliorer les périodes de cycle des règles et la condition féminine, tout en maintenant subrepticement, ce que précise la chercheuse, les valeurs obsolètes de honte et de discrédit qui entourent le sexe féminin.
Jeanne Guien étudie les techniques de merchandising, l’emballage, le choix des couleurs, l’appellation des produits menstruels sur fond de morale capitaliste, morale d’un système économique basé sur la propriété privée des moyens de production, la recherche du profit, la concurrence, et parfois la parénèse (une incitation d’ordre religieux, notamment dans le système économique américain).
Les slogans publicitaires, souvent formulés à base de signaux simplistes, d’attitudes grégaires, prouvent à quel point les mentalités des consommateurs et consommatrices sont façonnées par les médias de masse. À ce sujet, citons Marshall Mc Luhan (Pour comprendre les média) : En publicité, la tendance actuelle est à la création d’annonces de plus en plus calquées sur les mobiles et les désirs du public qui les lit. Le produit lui-même compte d’autant moins que la participation du public s’accroît. On en trouve un exemple extrême dans cette publicité de gaines, selon laquelle « ce n’est pas la gaine que vous sentez ». L’annonce doit englober l’expérience du public. (…) L’art de la publicité en est venu à répondre à merveille à cette vieille définition : « la science de l’homme qui embrasse la femme ». Énoncé précurseur…
La mainmise des marques mondiales sur les serviettes et les tampons hygiéniques s’accompagne de manuels de savoir-vivre pour les femmes, réduites au mariage, à la procréation, à la génitalité. Cela induit des types de comportements, accentués par les réseaux sociaux et la prégnance des outils technologiques.
L’autrice mentionne à travers des exemples précis l’instrumentalisation sexuelles des femmes. De plus, elle dévoile l’autre versant de l’industrialisation : la destruction de forêts et de sites naturels, le peu de scrupules des industriels, les effets secondaires nocifs pour la santé individuelle, etc.
L’intimité féminine est synonyme d’effroi et de dégoût. Par exemple, lors de la fabrication de Tampax en 1936, le message suivant stipulait précisément la répulsion à l’aide d’une campagne d’intimidation venant de chez « Zonite (…) une marque connue pour son usage agressif des « campagnes de la peur (…) expliquant aux femmes que l’odeur de leur vagin risquait de leur faire perdre leur mari, leurs amis, leur place en société, et qu’il fallait donc adopter l’habitude de la douche vaginale pour ne pas subir l’exil social ».
L’industrie a prétexté la « nouveauté »,« le confort », la liberté de mouvements au nom d’une prétendue « modernité », d’une « scientificité » et d’une « absence d’odeur » — arguments continuels de vente de la grande distribution, sous couvert de sérieux scientifique souvent non avéré.
La stratégie publicitaire se sert d’un vocabulaire choisi et de partis pris idéologiques assortis d’un argumentaire vague ou « méprisant vis-à-vis des générations passées » — toujours au nom de la notion de progrès -, d’une attitude culpabilisante via une communication mensongère ; voire, par exemple : « Rely absorbe même l’inquiétude ». (Rely, marque de tampons).
Il s’agit pour les monopoles et les lobbies commerciaux de « massifier la vente en la dissimulant », donc retirer aux femmes une clarté du propos. Notons le chapitre très intéressant sur la symbolique de la couleur blanche. Les méthodes américaines d’encadrement des cycles menstruels participent du « politiquement correct » et de nouveaux gourous apparaissent aux « promesses technoscientifiques ». Ou pour le dire autrement, l’ingérence en matière de vie privée se transforme peu à peu en contrôle autoritaire reposant sur « un océan de stéréotypes cisgenres et hétéronormés » — voire le chapitre CRITIQUES QUEERS.
Jeanne Guien rédige « une histoire industrielle », « matérielle » et « politique des produits menstruels », qui permet de déconstruire les assignations autoritaires genrées. Son ouvrage largement référencé, sérieux et abouti, pointe les carences d’une société impérialiste qui place la logique marchande et le profit à tout prix au mépris de la santé individuelle.
« Or hygiène et santé ont beau relever du corps, ce ne sont pas des problèmes privés ». Cette publication porte sur des objets de première nécessité et permet de lutter contre les tabous.
yasmina mahdi
Jeanne Guien, Une histoire des produits menstruels, éd. Divergences, fév. 2023, — 18,00 €.