Philippe Jaffeux, N

« REVOLUTIO N »

NB : La gra­phie et l’orthographe volon­tai­re­ment « dou­teuses » des cita­tions sont bien celles du texte de l’auteur du livre.

« J’emboite vingt-six pages dans cinq mille quatre vingt seize déca­lages glis­sés sous un vide gigog n e ? La course d’un i n ter­lig n age s’alig n e sur l’é n ième départ d’u n chiffre dépassé par l’armée d’u n abé­cé­daire » écrit (entre autres) Phi­lippe Jaf­feux afin de défi­nir un cor­pus qui est lui-même le work in pro­gress para­doxa­le­ment achevé du pro­ces­sus de créa­tion du texte. L’auteur pour­suit par ce « N » dit « L’E N IEMe » un tra­vail qui fait de l’abécédaire de lettres moins des textes que des car­rés. Ils sont ici 26 de 14 cm de côté, et 196 cm2 conte­nant 26 phrases, 33 lignes, 32 inter­lignes et 196 lettres « n » dont cha­cune des appa­ri­tions est déca­lée. Une telle poé­sie rend caduque bien des ten­ta­tives let­tristes et mathé­ma­tiques. Elle s’en nour­rit mais ouvre à un « socle d’une mesure avec le sens afin d’élever du papier creux vers la pla­ti­tude d’une ombre com­blée ».
Sans adhé­rer à d’autres dogmes que les lois qu’il se fixe, Jaf­feux crée par ces car­rés des suites de portes. Au-delà, rien ne prouve que l’espace ne soit pas aussi grand qu’on l’a rêvé une fois sou­mis aux fourches cau­dines des modé­li­sa­tions de l’auteur. Les huis franchi,s l’abîme est là en effet constam­ment reconnu, assumé. Mais il n’est plus habité d’ombres. Elles sont rem­pla­cées par les mots — étranges dans leur mise en scène — qui lui font place. Leur acide ronge. Est-ce pour ne lais­ser voir que la vérité ? Si vérité il y a, elle n’est pas ce que les mots en disent mais ce qu’ils font dans leur fac­ture. Détour­nant l’écriture de l’attention que géné­ra­le­ment tout auteur porte à son moi, Jaf­feux la porte vers les outils ver­baux même qu’il met « en expo­sant » à tous les sens du terme.

La lit­té­ra­ture est donc inter­ro­gée de la matière la plus « natu­relle » : à savoir par ce qui la consti­tue. Dans cette sorte d’humilité, tout reste néan­moins dio­ny­siaque. Un rayon­ne­ment étrange dévore la lit­té­ra­ture en son carac­tère de nour­ri­ture sou­hai­tée afin qu’elle devienne une sub­stance sou­hai­table. Le poète n’est plus là pour attes­ter de l’âme mais de ce que les mots font. Ou ne font pas, sauf là où les « mots impé­vi­sibles cor­rige n t un jeu e n tre une image et un hasart qui a n ticipe u n e lettre ultime ».

jean-paul gavard-perret

Phi­lippe Jaf­feux, N , Trace(s), Pas­sage d’Encres , 56310 Guern, 2013, 152 p. — 20,00 €.

Leave a Comment

Filed under Poésie

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

*

Vous pouvez utiliser ces balises et attributs HTML : <a href="" title=""> <abbr title=""> <acronym title=""> <b> <blockquote cite=""> <cite> <code> <del datetime=""> <em> <i> <q cite=""> <strike> <strong>