Quand des réfractaires aux règles sociales…
Cette ère futuriste où le matriarcat, qui règne sans partage, a institué une nouvelle civilisation marquée par de très nombreux interdits comme fumer, boire de l’alcool… Les gens sont classés selon des catégories rigides et vivent dans des zones qui leur sont dévolues selon leur statut sans pouvoir accéder partout.
Dans cet univers sous contrôle total, mieux encore que la Chine et la Russie réunies, Corbeyran anime deux personnages atypiques, des « dinosaures » par rapport au reste de la population. Halen, fume, boit des alcools réconfortants. Elle est habillée comme une grand-mère, lui dit la patronne de Stella, loin des critères de la mode en vigueur. Toutefois, peu de grands-mères actuelles s’habillent de cette façon.
Le scénariste prend le parti de l’humour avec un décalage profond de ces deux exclus d’une société où ils ne veulent pas s’intégrer, où règne un intégrisme, une société où les femmes prennent leur revanche sur des millénaires de domination masculine. Si cela entraîne certains excès, c’est le contrecoup du balancier.
Mais ces deux acteurs permettent de développer une intrigue solide, aux multiples rebondissements, où l’action musclée prime, où Halen, avec ses talons hauts, est d’une vivacité exceptionnelle.
Dans une cité futuriste où des véhicules volants circulent entre des tours gigantesques, une jeune femme arrête son automobile devant l’entrée de l’immeuble où elle a rendez-vous. Un vigile l’admoneste. Elle rétorque avec aplomb qu’elle doit rencontrer la patronne de la compagnie Stella, leader dans le tourisme spatial. Celle-ci expose à Halen Brennan, une mercenaire aux méthodes expéditives, les raisons de sa présence.
La compagnie a été cambriolée la nuit dernière. Il lui faut retrouver la mallette volée et les documents ultraconfidentiels qu’elle contient. Le cambrioleur, qui a tué trois vigiles et un homme de ménage, devra être abattu après avoir repris les documents.
Halen refuse en bloc ce nouveau monde, mais il faut vivre.
A l’autre bout de la cité tentaculaire, Jean-Claude Belmondeau se rend à sa cantine, un vieux camion Citroën dans lequel le tenancier prépare une cuisine prohibée dans cette néo société écolo-techno-bobo. C’est lui qui a dérobé la mallette.
Halen retrouve un contact imposé par Stella. Celui-ci est, en fait, le chef de la mission, ce qui importune au plus haut point la jeune femme.
Et quand Halen et Jean-Claude se rencontrent, ils vont faire équipe contre une société aux énormes moyens…
Jef, qui co-écrit les savoureux dialogues, assure son dessin tonique et une mise en couleurs très réussie. On retrouve toute la vigueur d’un trait qui avait séduit dans deux albums parus chez Soleil Convoi et Mezkal. Le format lui offre de belles possibilités, un développement graphique comme une mise en page dynamiques. Il réalise des pleines pages, des doubles planches attractives au possible avec des décors futuristes de grande ampleur. Sa galerie de protagonistes est campée de belle manière.
No Future se révèle comme un one-shot plaisant à tous points de vue, pour son récit et sa tonicité, pour une présentation graphique soignée et d’une belle exécution.
serge perraud
Corbeyran (scénario) & Jef (dialogues, dessin et couleur), No Future, Delcourt, coll. “Neopolis”, janvier 2023, 128 p. — 20,95 €.