Les missions de l’Agence 13 ne sont pas de tout repos
Pour cette nouvelle aventure de Mickie Katz, Serge Brussolo plante une large partie de son décor dans un univers de romancière, d’éditeur, de rapports à l’écriture. C’est un microcosme qu’il connaît bien, le fréquentant depuis le début des années 1980.
Présenté comme le quatrième récit des tribulations de sa décoratrice dans les arcanes de l’Agence 13, il retient un cadre désertique, une région qui, de prospère, est passée à invivable avec une femme entourée de mystères en la personne de Savannah. Au bord d’un reste de lac pollué, au cœur d’une zone torride, il pose une bâtisse qui devient un centre d’intérêt.
Michelle Annabella Katz — Mickie Katz — est la fille d’un terroriste en fuite et d’une romancière-illustratrice. Celle-ci, réfugiée dans son univers imaginaire, ne s’est guère occupée d’elle. Elle a été élevée par son père qui l’a initiée aux techniques de survie en milieu hostile.
À la mort accidentelle de sa mère, avec qui elle vivait, elle a quitté la Suisse pour les États-Unis où elle trouve à s’employer comme décoratrice. Après une expérience malheureuse qui lui a valu la prison sur une accusation infondée de la part de son patronne, elle est recrutée par l’Agence 13 qui a pour devise : Les paradis inhabitables.
Alors que son petit bungalow a été balayé par les eaux d’une piscine détruite lors d’une secousse sismique courante en Californie, elle est appelée par son supérieur hiérarchique. Elle doit remettre en état la demeure de Savannah Warlock, une des reines du roman policier dans les années 1970, tombée dans l’oubli depuis.
Benjamin Lovsson, le fils de l’éditeur, lui expose ce qu’ils attendent d’elle. La demeure de Savannah fait l’objet d’une clause testamentaire qui a été négligée. Il faut absolument lui rendre son lustre d’antan car les ventes de ses romans reprennent de plus belle à cause d’un film à succès tiré de l’un d’eux.
Accompagnée de Benjamin, elle se rend sur les lieux et en apprend un peu plus sur la romancière et sur les mystères qui entourent sa vie, sa fortune, et sa disparition. Mais, nombre de membres de la secte, Les fils de la hyène, ne voient pas d’un bon œil la mission de Mickie et…
La romancière, qui s’est construit une renommée sulfureuse avec ses textes et en restant presque invisible, suscite une sorte de religion pour un groupuscule de paumés agressifs. Ceux-ci la vénérant ne veulent pas que l’on touche à l’idole ni à ses biens.
Parallèlement Mickie découvre des éléments de son passé, des liens ignorés de sa mère pouvant expliciter son attitude.
Et, très vite, Serge Brussolo instille un malaise, le doute, la paranoïa. Chaque information, chaque situation, chaque attitude est sujette à suspicion. Chacune est contrecarrée par son contraire. Les hypothèses se succèdent, de la meilleure à la pire ou inversement.
On retrouve cette façon d’explorer et de faire le tour complet d’une situation, d’en extraire l’essentiel avec des résultats contradictoires. L’auteur maîtrise l’art de semer le doute, de livrer des explications normales, plausibles et leurs pendants soit criminels, soit angoissants.
Il introduit nombre de réflexions sur l’état de la civilisation de type occidental, sur l’état du monde et brocarde joyeusement le petit monde des écrivains professionnels avec des remarques qui semblent justifiées.
Ce nouveau volet de l’Agence 13, riche en images fortes, sert une intrigue aux multiples retournements jusqu’à un dénouement stupéfiant. Du grand art littéraire !
serge perraud
Serge Brussolo, La stratégie de l’écureuil, H&O Poche, janvier 2023, 320 p. — 8,90 €.