Sabine Huynh l’indépendante : entretien avec l’auteure (Elvis à la radio)

Riche d’un lourd passé eu égard aux vicis­si­tudes de son pays d’origine, l’auteure a su se construire à tra­vers ses exils. Et la lit­té­ra­ture n’y est pas pour rien. Pleine des pous­sières de ses sou­ve­nirs, Sabine Huynh a su trou­ver son visage non seule­ment dans les ombres de la nuit mais par la lumière des jours.
Son écri­ture navigue voile au vent pour cher­cher sa vérité. Et même lorsque cer­tains hori­zons s’éloignent, elle sait que le ciel peut cacher tou­jours quelque chose de nou­veau. De la bles­sure où a jailli l’écriture se crée un sens dans l’esprit clair des matins libé­rés de la peur.

Entre­tien :

Qu’est-ce qui vous fait lever le matin ?
La lumière du jour, les chants des oiseaux se mêlant aux lam­beaux de rêves et aux pen­sées, la pers­pec­tive d’une nou­velle jour­née bien rem­plie, et ma fille.

Que sont deve­nus vos rêves d’enfant ?
J’ai réa­lisé ceux qui étaient en rap­port avec l’écriture. Le reste sui­vra ! (sourire)

À quoi avez-vous renoncé ?
À savoir bien jouer du piano et dessiner.

D’où venez-vous ?
D’une ville en guerre qui s’appelait « branche de coton » ou encore « ville-forêt » et qui a changé de nom pour prendre celui d’un dic­ta­teur quand j’avais deux ans et quelques mois, et, sub­sé­quem­ment, de la vio­lence et du silence.

Qu’avez-vous reçu en “héri­tage” ?
La com­plexité des ori­gines, le cha­grin de l’exil et un ter­reau fer­tile pour écrire.

Un petit plai­sir — quo­ti­dien ou non ?
Mar­cher sur la plage (pas tous les jours, hélas), écou­ter les cris du martin-pêcheur, cueillir des herbes aro­ma­tiques sur mon bal­con et y admi­rer les coli­bris, les papillons et les bour­dons qui viennent s’y nourrir.

Qu’est-ce qui vous dis­tingue des autres écrivain(e)s ?
Je ne sais pas, mais je crois qu’on se dis­tingue par sa voix… Je ne sais pas en fait. C’est une ques­tion dif­fi­cile. Peut-être que l’hybridité de mon der­nier livre, Elvis à la radio (édi­tions Mau­rice Nadeau, octobre 2022), le dif­fé­ren­cie des livres qui semblent être du même genre, car mal­gré le fait qu’on puisse le prendre pour un roman, une fic­tion, une auto­bio­gra­phie, des mémoires, une auto­fic­tion, un recueil de nou­velles, un jour­nal sur l’écriture, une auto-analyse, il ne répond exac­te­ment à aucun de ces genres.

Com­ment défi­ni­riez vous votre fémi­nisme ?
Il n’est pas mili­tant et il se pra­tique à mon échelle, dans mes choix de vie auto­no­mistes et dans l’éducation que j’inculque à ma fille, qui essaie de prô­ner l’indépendance.

Quelle est la pre­mière image qui vous inter­pella ?
Une femme très belle gisant au milieu d’une flaque de soleil, dans une flaque de sang. Je devais avoir quatre ou cinq ans.

Et votre pre­mière lec­ture ?
“Daniel et Valé­rie” à l’école, et sans doute “La jour­née de Nou­nours” à la maison.

Quelles musiques écoutez-vous ?
Mes goûts sont éclec­tiques : rock, rock alter­na­tif, pop rock, punk, jazz, musique élec­tro­nique, musique clas­sique. En vrac : Hige­lin, Ange, Gains­bourg, Bashung, Têtes raides, Pink Floyd, Led Zep­pe­lin, Radio­head, The Clash, Jimi Hen­drix, Jeff Buck­ley, The Doors, Ciga­rettes After Sex, Depeche Mode, Air, Keren Ann, Björk, Ala­nis Mor­ris­sette, Ella Fitz­ge­rald, Miles Davis, Bill Evans… En musique clas­sique, j’adore les concer­tos pour vio­lon de Bach, Bee­tho­ven, Brahms et Bruch, les Sai­sons de Vivaldi, le Trio en la mineur de Ravel.

Quel est le livre que vous aimez relire ?
N’importe quel livre de Georges Perec, de Mar­gue­rite Duras, de Vir­gi­nia Woolf, et “La Chambre claire” et “Frag­ments d’un dis­cours amou­reux” de Barthes.

Quel film vous fait pleu­rer ?
“La Strada” de Fede­rico Fellini.

Quand vous vous regar­dez dans un miroir qui voyez-vous ?
Une enfant triste qui res­semble à sa mère, son père et ses frères.

À qui n’avez-vous jamais osé écrire ?
À personne.

Quel(le) ville ou lieu a pour vous valeur de mythe ?
Saïgon.

Quels sont les artistes et écri­vains dont vous vous sen­tez le plus proche ?
Ceux et celles qui sont poètes dans l’âme et qui pra­tiquent la tra­duc­tion lit­té­raire en plus de l’écriture.

Qu’aimeriez-vous rece­voir pour votre anni­ver­saire ?
N’importe quel livre publié par les édi­tions anglaises Fitz­car­raldo que je n’ai pas encore.

Que défendez-vous ?
Le droit d’être dif­fé­rent, la liberté d’expression, l’indépendance et l’émerveillement constant.

Que vous ins­pire la phrase de Lacan : “L’Amour c’est don­ner quelque chose qu’on n’a pas à quelqu’un qui n’en veut pas”?
Rien du tout car je ne l’ai jamais vécu comme ça.

Que pensez-vous de celle de W. Allen : “La réponse est oui mais quelle était la ques­tion ?“
Elle est drôle.

Quelle ques­tion ai-je oublié de vous poser ?
Il y en a plus d’une, et elles sont très impor­tantes. Qu’aimez-vous man­ger ? Tout sauf la bet­te­rave rouge et la viande. Qu’est-ce qui vous fait le plus peur chez les gens ? La jalou­sie, la méchan­ceté, le sec­ta­risme. Avez-vous eu des ani­maux domes­tiques ? Oui, des chiens, et le plus ado­rable des coqs, qui s’appelait Dod­die (sur mon bal­con, pen­dant un an). Si vous pou­viez avoir un super pou­voir, quel serait-il ? Res­pi­rer sous l’eau.

Pré­sen­ta­tion et entre­tien réa­li­sés par jean-paul gavard-perret, pour lelitteraire.com, le 28 jan­vier 2023.

Leave a Comment

Filed under Entretiens, Poésie, Romans

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

*

Vous pouvez utiliser ces balises et attributs HTML : <a href="" title=""> <abbr title=""> <acronym title=""> <b> <blockquote cite=""> <cite> <code> <del datetime=""> <em> <i> <q cite=""> <strike> <strong>