Avec Héroïne, Tristan Saule remobilise la place carrée, ce lieu central autour duquel il anime un groupe de personnages qui se débat dans les difficultés de leur existence, de leur milieu social, personnel, professionnel.
Deux espaces principaux vont servir de décors à l’intrigue, aux ballets d’un microcosme. Ce sont l’hôpital, dernier bastion de service public dans cette banlieue de Monzelle, et les locaux désaffectés d’un ancien collège.
Tonio et Lounès, un ancien boxeur semi-pro, sont aux prises musclées avec Bolleg et ses deux comparses au pied des tours de Sainte-Té, dans les Hauts.
Laura, infirmière aux urgences, profite de sa courte pause pour revivre les moments intimes partagés la veille avec Marion, ses caresses, ses baisers.
Idriss entraîne sa copine, la petite Zoé, dans l’exploration des bâtiments du collège abandonné pour cause de vétusté dans le quartier de la place carrée.
Tonio est mêlé aux trafics de drogues organisé par Salim, à la tête de son gang. Aussi, quand le Manouche lui révèle entrer en possession d’une belle quantité de drogue pure, il décide de monter son propre réseau.
Laura se remémore sa rencontre avec celle dont elle est follement amoureuse. Mais elle sent qu’elle lui échappe peu à peu. Marion est mariée et semble de moins en moins décidée à quitter son époux.
Et tous ces personnages qui gravitent autour de la place carrée vont subir de plein fouet la pandémie de Covid, le confinement, rendant leur existence encore plus difficile…
L’auteur appuie son récit sur deux protagonistes principaux, Laura et Tonio. Laura, issue d’une famille d’émigrés, doit vivre son homosexualité et faire face à une pandémie qui va encore compliquer une situation personnelle et professionnelle fort tendue.
Tonio est un petit voyou qui participe à la marge au réseau de vente de drogues d’un caïd du coin. Il se contente des miettes. Mais, quand se présente une opportunité…
Autour d’eux, le romancier décrit une société qui peine à vivre, des êtres qui cherchent à se sortir de leur situation ou qui, à l’inverse s’y complaisent. Il propose une théorie d’individus qui vont se croiser, dont les activités, licites ou non, les feront se rencontrer pour le pire. Et cette galerie est magnifiquement composée, équilibrée, construite avec une belle justesse.
Les affres, les obstacles des soignants sont rendus avec précision et véracité. Saule rend plausible aussi bien l’état d’esprit des écoliers qui voudraient retrouver leur univers que celui de personnes en perdition psychique ou/et physique.
Avec son titre, Tristan Saule joue avec les deux sens qu’on peut donner à ce mot, celui qui définit Laura et celui qui pousse Tonio dans une situation intenable.
Ce livre est sans chapitre. Cette suite de paragraphes, plus ou moins longs, passant d’un acteur du drame à un autre, donne une lecture très facile, immergeante.
Avec ce roman noir, voire très noir, Tristan Saule met le projecteur sur une société ignorée, voire rejetée, sur des individus sans futur. Il signe un récit poignant, d’une grande justesse.
serge perraud
Tristan Saule, Héroïne — Livre II des Chroniques de la place carrée, Folio Policier n° 977, janvier 2023, 352 p. — 9,20 €.