Personne ne voulut des Romanov
Dans un épisode de la saison 5 de The Crown, intitulé « Ipatiev », les scénaristes de la célèbre série ont cru bon de revenir sur un souvenir embarrassant pour les Windsor : l’abandon dont ont été victimes le Tsar Nicolas II et sa famille par leur cher cousin germain, le roi George V. Romancé et raccourci, on le sait, ce récit correspond-il à la réalité ?
Pour le savoir, nous conseillons vivement la lecture du livre de Loïc Damilaville qui fait honneur à l’essence même du travail historique : l’enquête.
A partir d’archives russes, britanniques et françaises, l’auteur retrace l’histoire de ces quelques mois de 1917 pendant lesquels le sort de la famille impériale agite les chancelleries. De mars (l’abdication de Nicolas II) à août 1917 (le départ pour Tobolsk, antichambre de la mort), la question d’un transfert de Russie de la famille impériale pour l’Angleterre a été sérieusement envisagée avant de sombrer.
Pourquoi ? C’est à cette question cruciale que répond cette rigoureuse étude, décryptant jour après jour l’enchaînement fatal des évènements.
Deux éléments ont pesé.
Le premier, la faiblesse du gouvernement provisoire russe, et de Milioukov en particulier, le ministre des Affaires étrangères, déterminé à exfiltrer les Romanov. Faiblesse face à un Kerenski qui joua un double jeu dangereux et surtout face à un Soviet de Petrograd qui ne compte pas laisser sa proie s’échapper.
Tout était bon pour conserver le Tsar dans sa prison dorée de Tsarskoïe Selo : surveillance renforcée du palais, enquête judiciaire en vue d’un procès, menace sur la vie de sa famille en cas de sortie vers Mourmansk ou la Finlande. Quand enfin le Soviet fut purgé de ses éléments les plus extrémistes, il était trop tard. Personne ne voulait de Nicolas II.
Et c’est là le second élément. George V a bel et bien voulu sauver son cousin, le faire sortir de Russie et a poussé son Premier ministre Lloyd George, qui dans un premier temps, ne le voulait pas, à entreprendre des démarches diplomatiques dans ce sens. Mais – et ce « mais » est capital – George V n’a jamais voulu l’accueillir en Angleterre, pour des raisons à la fois politiques et protocolaires.
Or, Lloyd George alla plus loin que le désir royal en proposant l’hospitalité au souverain déchu. Dès lors, le roi et surtout son secrétaire privé, Lord Stamfordham – personnage clé de toute cette histoire – n’eurent de cesse d’annuler cette décision du Gallois, pourtant peu suspect de sympathie pour le tsarisme. L’ambassadeur britannique, Sir Buchanan, qui n’a pas bonne presse, sort lavé de toute accusation d’abandon cynique.
Bien sûr, Loïc Damilaville insiste avec raison sur le fait que les protagonistes ignoraient la fin tragique de cette histoire et qu’au moment où Londres a communiqué officiellement son refus, la situation en Russie paraissait stabilisée… De même que l’attitude de la France, qui devait tant au sacrifice de la Russie et de son souverain, ferma elle aussi sa porte, l’auteur soupçonnant même les autorités d’avoir procédé à des destructions d’archives.
Enfin, il y eut une part de fatalité dans cette tragédie : la rougeole des enfants de Nicolas II qui empêcha un départ immédiat, dans le chaos ayant suivi l’abdication.
On ne cessera jamais de le dire, la mort des Romanov n’est un évènement banal car leur massacre ignoble dans la cave de la maison Ipatiev et la destruction de leurs corps suppliciés dans un charnier annonçaient les millions de victimes innocentes du communisme éliminationniste.
Le livre passionnant de bout en bout de Loïc Damilaville permet de mieux comprendre le destin tragique de ces gens innocents.
frederic le moal
Loïc Damilaville, Dans les limbes de la Révolution russe. Les Alliés et le sort de la famille impériale, (mars-août 1917), Bernard Giovanangeli Editeur, octobre 2019, 355 p. — 25,00 €.