Sur le cadran de la mécanique photographique suisse de Mathias Braschler et Monika Fischer, Chronos s’est arrêté. S’y substituent des chromos. Ils réduisent leur pays à travers le portrait de ses habitants à un musée de cire. Le folklore — sous le chignon d’une valaisanne ou dans la barbe d’un bucheron de l’Engadine — fige tout. Non sans une réelle beauté. Mais à quoi sert-elle ? C’est un peu comme fixer une poule dans le blanc d’œufs. Le pays y semble résigné à la somnolence. Certes, à qui douterait encore des merveilles et des marottes helvétiques, plus besoin de chercher des poux dans les images d’Epinal made in Switzerland. Chaque portrait prouve combien un certain monde — ou du moins son idée — aurait dû s’arrêter et qu’il ne faut accorder aucun crédit à l’avenir.
Les deux artistes suisses habitués à un regard pertinent (sur la Chine par exemple) se laissent aller ici à une nostalgie autochtone juste capable d’enfanter de vieilles mythologies. On peut bien sûr se laisser bercer par des images qui dépiautent tout enfer. Mais elles ne désamorcent en rien les rumeurs qui étouffent la Suisse en un tatouage d’idées reçues.
Il ne convient donc pas de demander l’heure du temps à un tel livre. Les prétendus desseins helvétiques demeurent enroulés dans leur courtepointe et les anoraks couleur de lait caillé. Pour évoquer les Suisses étaient attendus deux Quichotte soulevant les nuages de l’Eiger et du Léman afin de déplacer certaines optiques. Mais à leur place, deux Sancho Pança ont enserré le temps — d’un geste magnanime et sans doute poétique — comme on serre les fesses : en des poses d’innocence afin d’éviter l’énorme astringence des vicissitudes et des rides du temps.
Les deux auteurs – en position foetale – ont oublié un des régimes essentiels des images. Celui (régime de la connaissance) qui façonne un voyage en poussant le regard vers l’avant au risque d’assauts échevelés. Passant par le passé (régime de la méconnaissance), elles en reviennent taillées. La peur de l’inconnu vrille au stéréotype. En absence de voyance et sur la foi d’un plaisir et d’une économie ressassés, là vie montrée au lieu d’être multipliée devient longue comme un boa de plumes distordu par un bâillement d’ennui.
jean-paul gavard-perret
Mathias Braschler & Monika Fischer, The Swiss, Hatje Cantz, 2013, 160 p. - 30,00 €.