Il existe souvent dans l’oeuvre (rare) de Daniel Bourdon des voyages, qui plus est en des contrées d’abord inhospitalières.
Pour en franchir la frontière et les apprécier, l’écrivain, suivant les cas, use de diverses stratégies et demeure toujours prêt à consulter tous documents — même dans la méconnaissance de leur langue.
Aux courtes proses s’impose ici un texte plus ample pour nous transporter en sa nouvelle étape de son exploration de l’Orénoque et ce, après avoir consulté bien des manuels de voyages ou d’analyses consacrés à l’exploration du fleuve ancestral d’Amérique du Sud .
Nous voici auprès de ceux qui, jadis, bivouaquèrent sur ses berges et ont fait du fleuve la légende. Par son travail d’érudition sur les écrits de tels poètes, géographes et anthropologues, il crée par ce livre un canyon tropical.
Au-delà de la fiction comme un récit de voyage, l’auteur offre un melting pot : biographies d’aventuriers et autochtones, survols de cartes et archives, chroniques zoologiques en terrain hostile et autres imbrications traitent moins de la source du fleuve que de celle des livres qui l’ont raconté jusqu’à le transformer en métaphore inépuisable.
De plus, la langue elle même est interrogée et la littérature est bousculée dans ses prétentions, non parfois sans ironie. Mais l’auteur n’est pas un perdreau de l’année : il compulse, compare, vérifie.
Et il devient lui-même le lecteur qu’il définit comme suit : “Impossible de se fier au livre qu’il a entre les mains, car manifestement il n’en dit pas assez, faisant d’ailleurs référence à d’autres, qu’il faut localiser, se procurer, ouvrir puis comprendre. Voici qu’il en trouve un, qui était à vrai dire la source du précédent. Il le lit dans une langue qui n’est pas la sienne et qu’il maîtrise mal – c’est de surcroît un parler du dix-septième siècle usant de termes archaïques et de tournures absconses.”
Néanmoins dans cette littérature comme au bord du fleuve, il convient d’avancer, coûte que coûte, quels que soient les désagréments. Le lieu du lieu est autant littéraire que réel, imaginaire que réalité là où à chaque récit s’élève non seulement une voix mais un monde avec ses lois propres.
Elles nous sont données peu à peu à comprendre, même si elles restent parfois énigmatiques pour le narrateur. Alors pour le lecteur… Mais il ne s’en lasse pas.
jean-paul gavard-perret
Daniel Bourdon, Orinoco, Fata Morgana, Fontfroide le haut, janvier 2023, 136 p. — 23,00 €.