Ah, les Académies militaires…
Un œil bleu pâle (The Pale Blue Eye) est le quatrième livre de ce journaliste-romancier. Il est paru en 2006. Louis Bayard est attaché au roman policier historique et savoure la mise en scène de personnages authentiques. Ainsi, il donne vie à Vidocq dans La Tour noire (Le Cherche midi, 2010).
Mais pour l’heure, il s’attache les services d’un enquêteur étonnant en la personne d’Edgar Allan Poe. Il retient la période où le futur auteur des Aventures d’Arthur Gordon Pym est élève-officier, depuis juin 1830, dans l’Académie militaire de West Point.
Le 19 avril 1831, Gus Landor sait que dans quatre heures maximum, il sera mort. Aussi, il veut raconter sa dernière enquête. Pour des raisons de santé, il a pris sa retraite de commissaire de police de New York dans les Hudson Hihglands. Veuf inconsolable, il trouve quelque réconfort dans l’alcool.
En rentrant de sa promenade matinale, ce 26 octobre 1830, il est attendu par un artilleur. Celui-ci doit l’amener à l’Académie militaire de West Point pour rencontrer le colonel Sylvanus Thayer. Sur place, il est reçu par le colonel, assisté du capitaine Hitchcock. Après bien des tergiversations, des atermoiements, ils finissent par lui révéler que Leroy Fry, un élève-officier, s’est pendu. Puis le corps a disparu. Lorsqu’il est revenu, le cœur avait été volé.
Landor accepte d’enquêter malgré les conditions exigées comme ne plus boire d’alcool. La rencontre avec l’élève qui a découvert le corps est riche en informations. Un examen du cadavre donne une indication essentielle. Fly a été pendu… donc assassiné.
Alors que Gus se repose dans le jardin du colonel, il est approché par un jeune homme qui se présente comme l’élève-officier Poe et qui lui dit que l’homme qu’il recherche est poète. Et Landor qui va chercher en la personne de Poe, des yeux et des oreilles au sein de l’Académie, n’est pas au bout de ses surprises car…
Ce thriller propose une enquête où le dénouement est assez inattendu malgré les indices semés par Louis Bayard. Il vaut par l’atmosphère rendue et un rythme que l’on retrouve dans la littérature de la première partie du XIXe siècle où les auteurs portaient une grande attention à l’environnement du cadre et aux détails de la vie courante. Le romancier recrée l’ambiance d’une paisible campagne au bord de l’Hudson aux environs de New York.
Mais aussi celle de cette académie militaire créée en 1802, qui se veut prestigieuse. Toutefois, déjà controversée, elle ne peut se permettre aucun scandale. Cependant, derrière cette façade règne une réalité oppressante due à la stricte discipline qui s’impose à tous et à la menace mortelle qui plane dans cet un univers en vase-clos.
Quant au rythme du récit, il s’inspire d’une époque où l’on prend le temps de s’attarder à l’auberge, de contempler les paysages. C’est également le temps où les enquêteurs ne doivent compter que sur leur sagacité, leur intuition, leur réflexion. L’enquête piétine, repart pour un cul-de-sac. Les allers-retours se multiplient tandis que le meurtrier se joue des limiers.
Bien que la galerie des personnages soit étoffée, le récit passe entièrement par le commissaire Landor et par un Edgar Allan Poe, à l’esprit vif et brillant, qui ne trouve pas sa place dans cet univers figé.
Le roman a été adapté et il passe sur Netflix depuis quelques jours sous son titre américain avec Christian Bale-Landor et Harry Merlling-Poe. Un œil bleu pâle dispose de tous les éléments qui font un excellent thriller historique, efficace et séduisant, avec une intrigue soignée menée avec intelligence et brio, avec un couple de détectives atypiques.
serge perraud
Louis Bayard, Un œil bleu pâle (The Pale Blue Eye), traduit de l’anglais (États-Unis) par Jean-Luc Piningre, le cherche midi, janvier 2023, 688 p. — 21,00 €.