Auguste Rodin appelle Brancusi, tout juste intégré dans son atelier, pour lui fait part de ses théories sur l’espace. Ce dernier trouve qu’il rabâche, qu’il en a assez de faire des maudits moulages. Dès qu’il trouve un atelier… (Il restera un mois seulement chez Rodin).
Vingt ans plus tard, il est dans son atelier et prépare son exposition de New York, à la Brummer Gallery, organisée avec le concours de Marcel Duchamp. Il part, pour la mise en place, avec 42 sculptures, 27 dessins et une peinture. Mais, à la douane, les agents sont dubitatifs face aux sculptures et réclament 4 000 dollars de droits, déniant à ces pièces le statut d’œuvre d’art, les classant plutôt comme des objets industriels.
Ces derniers sont imposés, selon l’article 399 du Tariff Act de 1922 relatif aux objets manufacturés, à un taux de 40% alors que l’œuvre d’art voit s’appliquer une franchise douanière. Brancusi décide de porter plainte pour faire reconnaître le caractère d’œuvre d’art à ses bronzes. C’est Oiseau dans l’espace qui servira de pièce à conviction pour le tribunal.
Brancusi rentre en France, laissant le soin à ses avocats et à Marcel Duchamp, qui a mobilisé ses contacts, de défendre sa position.
Les États-Unis jonglent très volontiers avec le protectionnisme en modulant les droits de douane en fonction de leurs objectifs de restrictions d’importation. En 1922, ce sont les objets manufacturés qui supportent des droits à hauteur de 40 %. Face à ces sculptures qui ne ressemblent pas à celles qu’ils ont l’habitude voir, qui n’ont rien d’académique, les services douaniers les saisissent en attendant le paiement des droits.
C’est une alternance entre le déroulement du procès au tribunal newyorkais et l’attente de Brancusi à Paris, son quotidien en attendant le verdict. Il s’agit de prouver une différence entre l’œuvre unique et ce qui semble être un travail réalisé par un artisan compétent.
Ce sont l’examen de la sculpture, les différentes étapes de sa réalisation depuis l’idée, les recherches de la forme idéale, le travail d’ébauche puis la finition à partir du moulage. Il fallait faire admettre une représentation d’un oiseau prêt à l’envol, tâche ardue quand il s’agit de faire valoir l’aspect précurseur.
Ce procès a une influence à la fois dans le domaine juridique et dans celui de l’art ouvrant de nouvelles limites, élargissant le champ pour intégrer une nouvelle conception d’œuvres qui cherchent à représenter des idées abstraites plutôt qu’imiter la nature.
Arnaud Nebbache choisit un style proche du synthétisme pour ses planches, structurant les formes par la mise en couleurs, jouant des diverses possibilités de l’aquarelle et des stylos de couleurs. Un graphisme qui accroche l’œil et met en scène de belle manière cette singulière histoire authentique.
serge perraud
Arnaud Nebbache (scénario, dessin et couleur), Brancusi contre États-Unis, Dargaud, janvier 2023, 128 p. — 23,00 €.